samedi 10 août 2019

Capitalisme premier, libéralisme, néolibéralisme et maintenant progressisme : évolution d’un récit éludant des pratiques qui nous mènent tout droit au suicide collectif.

     Débutons par la notion de « capitalisme » apparue au 19èmesiècle et définie par le dictionnaire Larousse « dans sa terminologie marxiste » comme «un régime politique, économique et social, dont la loi fondamentale est  la recherche systématique de la plus-value, grâce à l’exploitation des travailleurs, par les détenteurs des moyens de production, en vue d’une transformation importante de cette plus-value en capital additionnel, source de nouvelle plus-value ». Une définition succincte qui ne s’embarrasse pas de considération morale et révèle donc l’essence du système économique qui prévaut dans l’essentiel des pays développée : un mouvement perpétuel uniquement orienté vers l’accumulation de revenus à tout prix. On peut donc très vite comprendre qu’il n’est en aucun cas question de respect de principes moraux ; la destruction de l’environnement n’est qu’un dommage collatéral et la justice sociale un obstacle à l’augmentation de la plus-value. 
     La critique d’un tel système semble aisée et peut expliquer l’émergence à peu près à la même période de la notion de « libéralisme », toujours selon le Larousse : «doctrine économique qui privilégie l’individu et sa liberté ainsi que le libre jeu des actions individuelles conduisant à l’intérêt général ; doctrine politique visant à limiter les pouvoirs de l’Etat au regard des libertés individuelles ». Lorsque l’on sait à quel point ce dogme a permis l’épanouissement du capitalisme on peut déjà se demander comment il est possible de se prévaloir de l’idée de liberté individuelle lorsque l’on sait que depuis le début la notion d’exploitation est centrale que ce soit sur le plan des ressources et même des individus ? A mon sens, il s’agit d’une première tentative d’élaboration d’un récit visant à rendre tolérables des dérives connues par la mise en avant du principe historiquement et universellement reconnu de « liberté ». Notion positive s’il en est dont la critique est quasiment impossible. Par un syllogisme créé de toute pièce, toute personne s’opposant au capitalisme serait un pourfendeur des libertés individuelles, donc de la liberté… Malheureusement, cet argument peut être encore entendu de nos jours lors de débats entre spécialistes. Cela prouve la force de cette stratégie rhétorique qui vise à discréditer toute opposition. Cependant tous les effets pervers recensés et difficilement justifiés (nous en relèverons plusieurs par la suite) expliquent que l’idée même de « libéralisme » a pu perdre de sa superbe en étant associée à l’absence de limites, de contrôle.  
     D’où l’essor au cours du 20ème siècle de la théorie du « néolibéralisme » que l’on peut relier à Friedrich Hayek, opposant farouche à toute intervention de l’Etat contrairement à John Maynard Keynes . J’ai choisi de reprendre une définition proposée par le Monde diplomatique : « Le néolibéralisme désigne le renouvellement des thèses économiques libérales qui ont inspiré les politiques économiques des pays occidentaux. Ces politiques, devenues dominantes, ont pour objet de créer un environnement propice à l’afflux des mouvements de capitaux, source d’épargne disponible pour l’investissement, par la dérégulation des marchés, la réduction du rôle de l’Etat, des dépenses publiques et de la fiscalité (en particulier au bénéfice des entreprises), un contrôle strict de l’évolution de la masse monétaire pour prévenir les effets inflationnistes, la privatisation des entreprises publiques et l’abaissement du coût du travail »[1]. Ajoutons, qu’au delà de l’aspect strictement économique, c’est toute la sphère socio culturelle qui est influencée par cette doctrine. Patrick Juignet nous explique dans un article complet : « c’est une idéologie individualiste et hédoniste qui vise l’augmentation des droits individuels. Elle valorise l’intérêt égoïste au détriment du devoir collectif et des valeurs communes».[2]L’idéologie néolibérale est clairement issue de la réflexion de grands défenseurs du « capitalisme » visant à lui permettre sa mise en œuvre de la manière la plus débridée possible pour atteindre encore et toujours un seul et unique objectif : l’accumulation toujours plus importante de richesses. Cette deuxième tentative de valorisation du « capitalisme » a donc consisté à  lui associer, en plus de l’idée de « liberté » (libéralisme), celle de nouveauté, de modernité (néo). Mais encore une fois, la machine s’est enrayée et petit à petit, le néolibéralisme a acquis une connotation largement négative. Notons une chose particulièrement étonnante, le rapprochement de Milton Friedman (autre farouche promoteur du néolibéralisme) et des économistes membres des Chicago boys avec le général Pinochet, auteur du coup d’Etat militaire contre Salvador Allende au Chili le 11 septembre 1973 ; curieux paradoxe que se dire défenseur des libertés individuelles en collaborant avec l’un des pires dictateurs de l’histoire de l’Amérique Latine… 
     Reconnaissons que l’inventivité des adeptes ne semble pas connaître de limites et on peut considérer  que les défenseurs « modernes »  du  capitalisme  ont tenté, par un nouveau tour de passe-passe idéologique, de le réactualiser, de le rendre plus acceptable, en le rapprochant, voir en le confondant avec la notion de « progressisme » ; notion on ne peut plus floue qui a comme seul mérite de renvoyer à l’idée attractive de progrès. Malheureusement cette stratégie rhétorique ne peut plus tenir ; en effet, il est encore des contradictions impossible à résoudre : comment avancer que le but recherché est une plus grande justice sociale et l’amélioration des conditions de vie du plus grand nombre par le développement incessant des sciences et des techniques alors qu’il est maintenant reconnu et documenté que le modèle économique occidental dominant qui s’appuie largement sur une explosion technologique est justement à l’origine de la dynamique inverse : richesses concentrées dans les mains d’un nombre de plus en plus restreint d’individus, augmentation criante des inégalités, augmentation de la précarité dans le travail, pratiques capitalistes incapables de prendre en compte l’urgence climatique… C’est cela qui est particulièrement effrayant, rien ne peut plus justifier cette fuite en avant ; et pourtant… certains experts défendent encore l’indéfendable au mépris du bon sens le plus élémentaire. Le travail de déconstruction fait pourtant bien apparaître, malgré la tentative de réhabilitation, le réel nœud du problème à l’origine du dysfonctionnement économique, social et environnemental global : l’économie de marché  dérégulée et la logique capitaliste qui conditionnent la plupart des gouvernements des pays développés. Le « capitalisme » est une bombe à retardement prête à exploser, dissimulée sous un manteau idéologique d’apparence favorable qui lui permet de passer tous les contrôles de sécurité. 

    Deux exemples marquants permettent d’illustrer l’impasse dans laquelle nous nous trouvons, deux débats organisés, l’un par la chaîne Thinkerview, l’autre par Frédéric Taddéï sur RT. Tout d’abord un échange de points de vue entre Laurent Alexandre, neurochirurgien adepte du transhumanisme et grand défenseur de toutes les évolutions numériques (smartphones pour tous les adolescents, tablettes à l’école, développement des algorithmes et de l’Intelligence Artificielle…) et Philippe Bihouix, ingénieur plutôt favorable à une décroissance raisonnée, prônant une forme de sobriété technologique (« low tech »)[3]. Quel étonnement de voir ce fameux médecin dérouler son argumentaire avec un mauvaise foi qui frôle la bouffonnerie : il balaie d’un revers de la main l’impasse énergétique dans laquelle nous nous trouvons et le découplage impossible entre croissance et destruction des ressources naturelles, il défend une forme de croissance verte avec l’exemple tout à fait fallacieux du Lac d’Annecy qui peut se venter d’avoir l’un des environnement les plus propres et préservés du monde ; c’est là un bon exemple de l’hypocrisie de certains milieux aisés qui protègent leur pré carré sans égard pour le reste du territoire, une simple exception qu’on ne peut en aucun cas ériger en norme. D’autre part, l’argument qui revient le plus souvent comme une forme de sentence : les avancées en terme de niveau de vie connues jusqu’à maintenant dans le monde entier. Je reviendrai plus tard sur l’ineptie qui consiste à utiliser des indicateurs qui semblent tout à fait dépassés. Le simple fait d’aborder un tel sujet c’est simplement faire mine d’ignorer que l’espérance de vie a reculé pour la première fois dans les deux foyers des plus grands défenseurs du néolibéralisme, le Royaume Uni[4]et les Etats Unis[5]et encore ignorer que plus récemment il a été fait état de la progression pour la troisième année consécutive de la faim dans le monde[6], pour des question de démographie, sans doute, mais pas que… changement climatique et conflits géopolitiques ont aussi beaucoup à voir.  Seconde confrontation tout aussi surréaliste, cette fois ci dans l’émission « Interdit d’interdire », entre Ferghane Azihari, analyste en politiques publiques pour plusieurs « think tank » libéraux et  Monique Pinçon Charlot qui étudie avec son mari depuis des années l’oligarchie française[7]. Le premier ose tout de même laisser entendre que la richesse démesurée des uns ne se ferait pas au détriment des autres et surtout sans aucune exploitation d’individus ou d’autres pays… à aucun moment il ne s’arrête sur les mesures d’extorsion économique « légales » de certains pays comme les Etats Unis, sur la problématique de l’évasion fiscale et de l’optimisation fiscale qui peut paraître amorale, mais qui reste souvent « légale » avec la « complicité » des différents appareils décisionnaires ; et c’est surtout complètement oublier le principe d’externalisation de l’exploitation à la fois des individus et des ressources naturelles. Croissance permise par le dumping social et l’esclavage moderne dans plusieurs pays d’Asie, ou encore pillage des ressources naturelles et destruction des écosystèmes avec la déforestation en Indonésie pour l’huile de palme[8]ou les mines pour l’extraction des métaux rares en Chine. Des matières premières indispensables pour les nouvelles technologies mais à l’origine d’un fléau environnemental[9], comme le rappelle pourtant Madame Pinçon Charlot… Encore plus étonnant cette ritournelle des pays en développement qui seraient avides de croissance ; c’est bien le miroir aux alouettes : des pays occidentaux très "propres sur eux", à base de plans de communication léchés, d'un « soft power » attractif qui font miroiter l’assouvissement de besoins secondaires créés de toute pièce sans jamais insister sur le prix à payer en terme de détérioration du climat, des écosystèmes, d’empoisonnement généralisé organisé par les grands groupes agro-industriels, des conséquences de l’agriculture et de l’élevage intensif… oui les conditions de vie peuvent et doivent s’améliorer pour eux mais en aucun cas en se basant sur notre modèle actuel de développement économique. Il semble bien que l’argumentaire économique libéral encore défendu par quelques adeptes zélés soit complètement éculé. En effet, les seuls indicateurs agités sans cesse par les gouvernants ainsi que leurs relais médiatiques s’avèrent tout à fait inopérants car ils ne tiennent pas compte des enjeux de notre temps. Comme si nous voulions diagnostiquer et soigner la maladie infectieuse généralisée d’un individu avec un thermomètre et un stéthoscope cassés ; autant  creuser tout de suite la tombe… 
    Prenons les trois indicateurs généralement mis en avant pour mesurer la santé économique d’un pays : Le PIB (Produit Intérieur Brut), l’indicateur de consommation des ménages et le taux de chômage. 
    Le PIB correspond à la quantité de biens produits, soit la somme des valeurs ajoutées de l’ensemble des producteurs résidant sur le territoire. La croissance correspond donc à l’évolution du PIB, déduction faite de l’évolution des prix. Cependant on peut regretter qu’un certain nombre d’activités ne soient pas prises en compte : les activités domestiques non rémunérées et les activités bénévoles. De toute façon se baser sur cet indicateur revient à engager une course toujours plus effrénée vers la production de biens en reléguant au second plan par pragmatisme les conséquences environnementales car on sait bien que plus on produit de biens plus on nécessite d’énergie, plus on exploite les ressources naturelles en dépassant allègrement les seuils de renouvellement quand ils existent (bois et eau par exemple), tout en augmentant toujours plus les déchets rejetés dont une infime partie peut être recyclée. C’est une mécanique infernale qui ne peut être enrayée qu’en opérant à une rupture franche dans nos modes de production mais aussi de consommation. Cela nécessite de revoir de fond en comble justement ce modèle économique. 
On en vient à ce deuxième indicateur souvent sur le devant de la scène avec les problèmes de pouvoir d’achat : la consommation des ménages. Nos dirigeants sont encore guidés par cette logique paradoxale : il faudrait consommer moins et surtout mieux mais, pour l’heure, avec leur vision à court terme, toute consommation est bonne à prendre : achats de véhicules stimulés au lieu d’améliorer les transports, ils se félicitent de l’augmentation de la fréquentation des aéroports alors  que c’est une des industries les plus polluantes, on fait la promotion du numérique et des nouvelles technologie alors que cela entraine obligatoirement une flambée de la consommation énergétique… la lutte contre l’obsolescence programmée, l’interdiction des pailles jetables et la consigne des bouteilles en plastique ressemblent à de jolis pansements sur une jambe de bois. Enfin, pour ne rien arranger, les caciques ne jurent que par la baisse du taux de chômage tout en manipulant son calcul… et ce ne sont pas les « experts » qui vont insister sur le subterfuge. Il y a toujours possibilité de faire baisser artificiellement ce taux en plusieurs étapes : tout d’abord modifier le code du travail pour faciliter le recours par les entreprises à des contrats précaires, c’est à dire plus courts et moins protecteurs pour le salariés, associons à cela le durcissement des conditions de maintien des droits au chômage qui permet de radier à peu de frais un certain nombre d’individus ; enfin, ajoutons le durcissement des conditions d’accès aux droits en augmentant par exemple le nombre de mois travaillés nécessaires à l’ouverture de ces droits alors que, comme énoncé au départ, les entreprises peuvent recourir aux contrats courts. Entreprises qui pourront d’autant plus faire du chantage à l’embauche afin d’accentuer le consentement des salariés à des situations professionnelles de plus en plus dégradées. Belle logique qui consiste à donner l’impression d’une meilleure santé économique du pays tout en précarisant les concitoyens souvent les plus fragiles… Et le plus dangereux reste cette réflexion totalement absurde qui consiste à faciliter le licenciement par les entreprises pour réduire le chômage… soi-disant les mesures telles que le plafonnement des indemnités aux prud’hommes rendraient confiance aux employeurs mais cela risque de vite se transformer en arme de destruction massive pour l’emploi avec la conjoncture économique qui décroche (croissance en berne malgré les taux historiquement bas) et les gains de productivité attendus grâce aux nouvelles technologies remplaçant nombre d’activités humaines. Si on additionne  tous ces non-sens, on se rend facilement compte que seule la logique purement économique et financière est poursuivie. Imaginons que la tendance s’accentue inexorablement: que la productivité des entreprises s’améliore grâce aux investissements dans les nouvelles technologies et grâce à une débauche d’énergie toujours plus grande, que la précarité des citoyens progresse ; il ne faudra pas s’étonner d’avoir un tableau final avec des français de plus en plus pauvres, un déclassement de plus en plus marqué des membres de la classe moyenne et des inégalités de plus en plus criantes en faveur des actionnaires des grandes entreprises. Image inquiétante qui rappelle étrangement la situation des Etat Unis d’Amérique…  Pourquoi les décideurs ne comprennent-ils pas que la « grandeur » de la France n’est envisageable qu’en garantissant la santé, la sécurité et l’éducation de l’ensemble de nos concitoyens? A quoi peut bien servir le fait d’être dans le haut du classement au niveau des indices économiques si les conditions de vie des français se détériorent? N’en déplaise aux "premiers de cordée" chers au président, tout l’or du monde ne permet pas de se préserver des catastrophes naturelles et de leurs conséquences sur notre habitat.

Dans ces systèmes complexes interconnectés, l’un des pires fléaux est bien la collusion totale entre le  personnel politique actuel et le monde des grandes entreprises privées. Il n’y a plus aucun garde fou. L’Etat  français par exemple, censé garantir la sécurité de sa population est devenu un simple outil permettant de promouvoir et faciliter la promulgation de lois dont l’unique objectif est le développement sans freins de l’économie de marché. Considérations tout à fait contraires à l’intérêt général et, chose encore plus dangereuse, contraires à la volonté populaire majoritaire. Tout cela est permis par cette vaste escroquerie du recours à la société civile associé aux pantouflages en tout genre avec des aller-retours incessants entre postes soi-disant au service de la République et postes dans les grandes banques, cabinets d’avocats d’affaires, entreprises de communication, grands groupes industriels… Cet énorme braquage démocratique (voir les soutien de la campagne de Macron[10]) a permis à « l’élite capitaliste » de s’installer aux fonctions de décision politique, détournant ainsi sans scrupules le rôle de représentation des citoyens français qui leur était assigné. Malheureusement, avec cette équipe de « pieds nickelés », il n’y a plus de limites, sinon, comment expliquer qu’en pleine canicule, au moment où la sécheresse et les changements climatiques devraient remettre en cause notre manière d’appréhender et de sécuriser notre habitat, nos réseaux électriques ou encore les installations nucléaires, un gouvernement ose évoquer le fait de mettre en place une « red team » formée d’auteurs de science fiction et de futurologues pour appréhender les innovations militaires[11], ose subventionner à hauteur de plus d’un million d’euros le développement d’un « flyboard »[12]ou ose lancer la création d’un commandement de l’espace[13] ? N’apprend-on rien du passé, comment est-il possible de remettre sur la table le concept de « guerre des étoiles » d’un certain Ronald Reagan ? Comme si les progressistes français choisissaient de nous servir de vieilles recettes datant des années 80. Et que dire entre extension du libre-échange, ventes de fleurons industriels français et tentatives de privatisations menées par tous ces acteurs… les scandales s’enchainent à un rythme effrénés.  La vente d’ADP (Aéroport de Paris) au mépris du bon sens, contre l’avis de sa propre population et d’une grande partie du personnel politique, tous bords confondus ; le CETA voté par la majorité macronienne alors que cet accord de libre échange a même reçu les critiques de l’ancien ministre de l’écologie démissionnaire Nicolas Hulot[14]auxquelles répond le président par une formule lapidaire "le CETA va dans le bon sens"[15]. Ou encore l’affaire ALSTOM, cas d’école de guerre économique américaine menée par les EU et au cours de laquelle les intérêts de la France ont été piétinés avec le concours bien connu du ministre de l’économie de l’époque et actuel président de la république[16]… On arrive à un tel niveau de déni que la position du gouvernement n’est même plus intellectuellement tenable, à moins d’une névrose profonde contagieuse pour l’ensemble des ministres, le discours ne repose plus sur aucun argument valable à part l’incantation libérale d’une pluie de dollars dégagée de toute responsabilité écologique. A cet égard le dossier « privatisations » développés dans le Monde diplomatique de juin 2019 montre bien l’extrême faiblesse des arguments gouvernementaux en faveur de la cession des Aéroports de Paris ou de la privatisation de la gestion des barrages : secteurs actuellement rentables et toujours stratégiques qui seront alors hors de contrôle d’un point de vue de l’impact environnemental.
     Autre point sensible, les attaques incessantes contre les services publics qu’ils tenteront sans doute de livrer au secteur privé. Attaques constantes contre la Sécurité Sociale  avec la diminution incessante des Contributions Sociales Généralisées qui se soldera à terme par un déséquilibre gravissime pour le budget ; la mise sous tension des hôpitaux publics avec la politique de l’autruche et des coupes budgétaires qui se succèdent ; la dévalorisation du métier d’enseignant dans le secteur public avec un gel des salaires, un recours accru aux contractuels et une future atteinte de leur retraite ; l’ignorance des revendications des services de sécurité comme les pompiers en grève ou les policiers en manque de matériel dont les heures supplémentaires ne sont pas payées et dont les locaux sont vétustes (on peut se demander d’ailleurs pourquoi ces derniers continuent à protéger un gouvernement qui les méprise au lieu d’assurer leur mission originelle de protection de leur concitoyens). Qui s’étonnera si tous ces secteurs sont livrés au privé : service de santé assuré par des mutuelles privées, service d’éducation privé et services de sécurité privés ? Qui s’étonnera de l’aboutissement du processus d’américanisation de notre société ?  Qui s’étonnera de la montée inexorable de la violence chez des citoyens qui sentent et comprennent qu’un petit groupe d’individus guidés par des intérêts personnels tente de les enfoncer dans l’insécurité, la précarité et la pauvreté ? 

    Pourtant, la puissance du « storytelling » néolibéral est purement théorique et malheureusement il assure la résilience d’un modèle économique capitaliste décomplexé et déconnecté de toute considération d’intérêt général. Un modèle qui est pourtant discrédité dans les faits et dans nombres d’analyses d’économistes reconnus tels que Thomas Piketty, Thomas Porcher ou Joseph E. Stiglitz. Le facteur qui lui  permet d’étendre son influence à l’ensemble de la planète est la « mondialisation » : « phénomènes d’ouverture des économies sur un marché mondial libéral, lié au progrès des communications et des transports, à la libéralisation des échanges, entraînant une interdépendance croissante des pays » (Le Petit Robert 2013). Ou comment devenir de plus en plus vulnérable aux caprices d’un marché financier qui sape l’autonomie et la capacité de résilience d’un pays face aux aléas touchant les plus puissants. Une belle manière pour le pays dominant d’organiser la servitude volontaire de ses voisins qui n’ont plus d’autres choix que de se plier aux pressions économiques dans l’espoir de pouvoir tirer leur épingle du jeu. Cependant nous sommes bien arrivés à un point limite ; depuis des décennies, l’élite capitaliste associée aux gouvernements successifs des pays occidentaux convaincus, a contribué à l’avènement de dirigeants d’un nouveau genre dans le monde entier. Des têtes brûlées, complètement décomplexées qui ne s’embarrassent plus du minimum de respect des minorités et des peuples voisins : Trump le climatosceptique qui appréhende tous les échanges par rapport à la quantité de dollars que ça lui rapporte, Bolsonaro admirateur de la dictature et responsable de la dégradation majeure du poumon de la planète[17], Netanyahu capable de tirer à balles réelles sur des manifestants[18]et responsable de lois digne de l’apartheid[19], Mohamed Ben Salman organisant un des pires fléau humanitaire avec la guerre sale au Yémen et qui fait exécuter en toute impunité un journaliste[20]… Ces individus qui ont fait mine de parler « au peuple » tout en jouant sur les peurs et les frustrations ne sont que les miroirs des pires travers des plus lisses Macron, Trudeau ou Obama. Ils s’entendent tous et agissent de concert sur le plan économique et bien que les derniers évoqués paraissent plus acceptables aux yeux de l’opinion, dès que l’on accorde un peu plus d’attention, le tableau est loin d’être idyllique, une pointe de vice en plus, car ceux là souhaitent se faire passer pour ce qu’ils ne sont pas : Macron qui ne jurait que par la bienveillance durant sa campagne et qui, au pouvoir n’hésite pas à vendre des armes à l’Arabie Saoudite[21]ou à organiser une répression d’une violence inouïe contre sa propre population lors des manifestations des Gilets Jaunes[22] (pratiques même dénoncées par l’ONU); Trudeau connu pour sa sensibilité et sa capacité à pleurer à la télévision[23]qui est accusé d’avoir exercé des pressions sur l’appareil judiciaire[24]et enfin Obama qui a osé accepter le prix Nobel de la paix (et à qui on a osé le donner) tout en étant à l’origine de bombardements au moyen orient ayant causé la mort de nombreux civils et même du personnel de Médecins sans Frontières[25]…  Déni de réalité, impossibilité de penser autre chose que l ‘économie, culture de l’hypocrisie, de la mauvaise foi, de la dissimulation à un moment unique où rien justement ne peut plus être caché ; on est bien loin des théories prônant la liberté, la justice et de bien commun. L’élite capitaliste, avec ces dirigeants tous plus atteints les uns que les autres, a enfanté ses propres bourreaux à force de renoncements, de mensonges, de manipulations… L’illusion a pu s’inscrire dans la durée grâce à une communication très pointue mais cela n’a plus aucun sens car ne s’appuie plus sur aucune réalité tangible. Nous ne sommes plus à un paradoxe près : de beaux discours progressistes empreints de liberté qui poussent les peuples occidentaux vers les pires régimes possibles sans qu’aucun des responsables ne soit capable de se remettre en cause…  

    Autre désastre total, le système financier complètement dérégulé qui alimente ce capitalisme, qui lui permet de se développer sans aucune barrière ; comme si Charybde et Sylla s’encourageaient mutuellement. Durant la crise débutée en septembre 2008 , il avait été décidé de « brider » quelque peu les marchés financiers en instaurant certaines règles que le nouveau locataire de la maison blanche n’a pas tardé à amender[26], permettant une nouvelle fuite en avant. Politiques, grandes entreprises, marchés financiers ; voilà un trio infernal ; ajoutons à cela le travail de conditionnement du système médiatique et on arrive aux quatre cavaliers de l’apocalypse. Les artisans de la grande roue dans laquelle le peuple hamster est prié de courir sans arrêt. Et cette folie généralisée ne semble plus connaître de limite.  Sachant que tout ce système ne tient qu’artificiellement, à l’aide de la planche à billet des banques centrales, comme un malade en phase terminale sous perfusion ;  il y a de quoi nourrir de grandes inquiétudes. Et lorsque l’on place l’accumulation de capital comme valeur la plus importante d’une société, on arrive à toute sorte d’inepties permises par un marché qui ne se soucie pas du tout des questions de sens. Là une entreprise comme Disney valorisée à 250 milliards de dollars pour vendre du rêve, un magnat de l’industrie du luxe comme Bernard Arnault dont la fortune dépasse les 100 milliards de dollars, des sportifs de haut niveau qui gagnent des millions pour nous éblouir dans des jeux du cirque modernes, des youtubers qui se mettent en scène pour gagner des fortunes tout comme des jeunes embrassant des carrières millionnaires de joueur de jeux vidéos… Si c’est la main invisible du marché qui permet cela, on peut être sûr qu’aucun cerveau ne la dirige… Création artificielle de monnaie, assouvissement de besoins créés de toute pièce, admiration pour des actions qui n’ont aucun sens, refuge dans des mondes imaginaires ; tout ça n’est que du vent. Mais tant d’externalités négatives pour du vent ne peut que conduire à la chute. Le pire dans tout cela n’est pas qu’un système puisse engendrer de telles folies, c’est simplement que les propres acteurs de ce système soient incapables d’imaginer le remettre en cause ; c’est bien le stade ultime de la servitude volontaire qui est atteint, le « there is no alternative » tatcherien poussé à son paroxysme, cependant tout cela ne tient plus qu’à un fil. Il serait peut-être temps de préparer la résilience de notre nation face aux changements majeurs qui s’annoncent : une crise économique et l’accélération de la crise écologique. Revenir aux besoins primaires élémentaires, assurer la sécurité alimentaire de notre population, se centrer sur les activités d’utilité publique, en finir au plus vite avec le culte de la croissance. 
    Malheureusement les progressistes néolibéraux refusent de manière dogmatique toute idée de décroissance. Il est pourtant nécessaire de se décider face à ce nouveau dilemme pascalien : continuer avec ce modèle capitaliste dont on connaît les effets néfastes et qui nous emmène à plus ou moins court terme dans le mur ou appliquer un modèle raisonné de décroissance dans plusieurs domaines en plaçant l’intérêt général et la sauvegarde de l’environnement comme priorités ? Je poserai le problème en ces termes : en admettant qu’il soit possible de continuer à appliquer le modèle capitaliste malgré tous les signes observables, si nous décidons de poursuivre et que cela s’avère être une erreur, c’est la mort assuré, un processus totalement irréversible ; à l’inverse, si l’on admet que le deuxième modèle est le plus judicieux, que l’on change totalement de modèle économique et social mais que l’on se trompe ;  on aura contribué à la préservation des écosystèmes, on aura assuré notre sécurité alimentaire et on pourra toujours se remettre à pied d’œuvre pour rattraper notre retard technologique, rien d’irréversible dans ce cas. Il serait donc plus raisonnable de choisir la possibilité d’une erreur positive réversible par rapport à la possibilité une erreur négative irréversible. Ayons le bon sens d’appliquer le principe de précaution.

   C’est pourtant ce qui est le plus affligeant actuellement, à défaut d’avoir intégré intellectuellement la nécessité d’un changement total de système économique et même de système de valeurs, la majorité de nos élus se contente d’un changement superficiel de forme (le capitalisme vert reste du capitalisme) mais c’est tout simplement la même soupe servie dans un plat différent. Et que dire de notre soi-disant écologiste national Yannick Jadot qui défend la voiture électrique alors que l’on sait que c’est tout autant un fléau écologique que la voiture thermique,[27]et qui est même capable de dire qu’il est pour l’économie de marché[28]et n’exclut pas une alliance avec les républicains, chantres du capitalisme, aux municipales[29]… Un manque de sérieux total, une négligence de réflexion indigne ; et pourtant on trouvera toujours un intellectuel ami, un philosophe de cour ou un éditorialistes admirateur pour nous expliquer que le système est comme ça, qu’il n’y a pas le choix, il faut être pragmatique… Mettons de côté ce fatalisme mortifère et gageons que ces individus ne se rendent même pas compte que par leur assentiment, ils cautionnent un mode de fonctionnement, de réflexion et d’action qui, à terme, mène à la spoliation du bien commun, donc de leur propre bien, en toute impunité. Comme si ils laissaient gouvernants, financiers et grands entrepreneurs se préparer un festin pendant une période de famine générale en mendiant avec lâcheté une place à la table des rois. 
Plusieurs questions s’imposent: comment peuvent-ils cautionner de telles choses ? lorsqu’ils font leur propre examen de conscience, comment peuvent-ils se regarder dans la glace, vivre sans un minimum vital de décence et de fierté ? Pour le cas de la France, tant que les discours dissimulaient efficacement les intentions, je peux comprendre que certains aient été floués par l’aventure macronienne. Cependant, à la lumière des faits qui se succèdent depuis le début du quinquennat, il me paraît impossible d’ignorer totalement cette farce monumentale ; ne pas se laisser faire devient une question de principe, de respect pour soi-même. Je tire donc mon chapeau à tous les individus qui ont manifestés leur désaccord par tous les moyens, en dénonçant publiquement, en faisant grève, en battant le pavé pour les manifestations qui se succèdent depuis le début du quinquennat… avec une mention spéciale pour les Gilets Jaunes, seul mouvement qui a pour l’instant arraché quelque chose de significatif à ce gouvernement jusqu’au-boutiste. Bien sûr le compte n’y est pas du tout et le prix à payer pour eux a été lourd (incarcérations, blessures graves, insultes publiques en tout genre, parodie de justice…) mais, au vu des circonstances, on peut se demander si la suite ne sera pas encore plus agitée…

P.M.




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