mercredi 30 décembre 2020

La perpétuelle oscillation entre radicalité émancipatrice et sectarisme contre-productif : un exemple de l’antiracisme en France.

  Tout d’abord intéressons-nous à la notion de « racisme ». La « race », dans l’espèce humaine, est définie, par le Petit Robert comme un « ensemble d’êtres humains qui ont en commun la couleur naturelle de leur peau ». Dans ce même dictionnaire, le « racisme » désigne à la fois une « idéologie postulant une hiérarchie des races » et un « ensemble de réactions qui, consciemment ou non, s’accordent avec cette idéologie ». Si l’on accepte ces deux définitions, le racisme est tout simplement une défaite de la pensée, une erreur de raisonnement flagrante, c’est confondre la partie et le tout et donc ériger l’injustice comme fondation de la réflexion. Manifester une hostilité irréfléchie envers un groupe de personnes le plus souvent inconnu est juste une preuve d’ignorance voire de bêtise pure, c’est se fixer sur un infime détail caractérisant ces personnes et ignorer tout le reste de leur être, c’est nier leur monde intérieur, les fondements de leur personnalité. C’est aussi faire preuve d’un égocentrisme aveuglant, d’une incapacité à estimer sa propre valeur en aucune manière supérieure à celle de n’importe quel autre individu dans l’absolu.   

En effet, il est tout simplement incompréhensible qu’au 21ème siècle, compte tenu de l’état des connaissances dans les domaines scientifique, historique, sociologique, géographique… on puisse affirmer logiquement l’infériorité d’une partie de l’humanité en se basant uniquement sur une caractéristique aussi peu signifiante que la couleur de peau. Quand bien même un individu pourrait apporter un semblant de preuve à ses théories fumeuses, c’est le plus souvent dans un contexte très particulier conforme à sa propre culture personnelle, et s’il existe un seul contre exemple, c’est la preuve formelle que cette théorie est totalement fausse au risque de se trouver face à une contradiction insupportable. Comme si un scientifique trouvait une manière simple de démonter un raisonnement mathématique semblant infaillible. Mais il est vrai qu’il n’y a rien de plus difficile que d’expliquer l’évidence qui par essence devrait surgir d’elle-même. C’est sans doute de cette difficulté que naissent toutes les incompréhensions et maladresses qui conduisent un mouvement dont le combat est légitime au départ à glisser vers une réduction simpliste de la focale à une question qui rate l’essence du combat réellement universel.

Je vais tenter de montrer, dans le développement, comment ce combat juste contre le racisme, dans sa déclinaison la plus médiatisée, met de côté la considération sociale plus générale et le contexte économique, facteurs pourtant primordiaux et même essentiels. L’exemple choisi ici est celui du combat de la population Noire suivant le slogan américain déjà apparu depuis plusieurs années « black lives matter » qui secoue maintenant tout le monde occidental depuis la mort atroce de George Floyd. Dans notre cas, il s’agira d’analyser la pertinence de l’émanation française de ce combat surtout mise en œuvre par le comité Justice pour Adama. 

 

Une comparaison discutable des faits, une urgence de l’actualité difficilement compatible avec la recherche de discernement.  

 

L’événement à l’origine des manifestations mondiales contre le racisme et les violences policières de juin 2020 est la mort de George Floyd aux Etats-Unis, étouffé par un policier devant plusieurs caméras. De cet épisode funeste est né le fameux genou à terre repris à l’international et particulièrement en France lors des manifestations pilotées par le Comité Justice pour Adama. Pourtant il semble difficile de rapprocher le mouvement  « Black lives matter » du combat d’Assa Traoré et ce pour plusieurs raisons. Tout d’abord à quel moment a-t-il été dit que le sort effroyable subit par Adama Traoré était conditionné par sa couleur de peau ? Contrairement à George Floyd qui subissait un contrôle de routine selon toute vraisemblance, pour le cas français, il s’agissait d’une affaire judiciaire concernant un jeune homme recherché initialement par les services de police. Bien sûr l’attitude des policiers ayant conduit au drame est intolérable et devrait être condamnée sans pour autant que la question du racisme ne soit mise forcément en avant ou présentée comme cause principale. Il serait plutôt logique dans ce cas de rapprocher les faits survenus aux EU du sort de Christophe Chouviat lui aussi décédé suite à un contrôle de routine dans des circonstances difficiles à entendre compte tenu des choses qui lui sont reprochées. Et là, il n’est pas question de couleur de peau, le problème central est bien l’action disproportionnée des forces de police qui ne devraient jamais conduire à la mort du suspect. Il aurait été plus logique, pour la France, que les proches et soutiens des deux victimes (Adama Traoré et Christophe Chouviat) se rapprochent dans un combat commun pour questionner la domination violente dite « légitime » d’un groupe d’individu sur un autre avec le problème central du rôle de la hiérarchie. Les erreurs de certains individus hors de contrôle sont-elles réellement prises en compte de manière impartiale par l’IGPN ? Les enquêtes sont-elles menées à terme avec minutie ? Pourquoi de nombreuses personnes pensent qu’il y a une forme d’impunité pour les forces de l’ordre, que la hiérarchie ne fait pas le nécessaire pour régler ces cas plus que problématiques ? Et comment interpréter les dires du premier flic de France, Gérald Darmanin qui « s’étouffe » en entendant « violence policière » ? Lui-même qui se contredit dans la même phrase en disant qu’il existe bien une « violence légitime » … la pauvreté intellectuelle de cet individu est-elle si prononcée qu’il pense que la « légitimité » accordée à cette violence par une institution et selon des critèresassez mal définis, lui fait perdre son caractère de « violence » ? 

Donc une « violence légitime », ou non, appliquée par la Police ne serait pas une « violence policière ». Il fallait au moins un niveau aussi élevé de réflexion  pour prendre la suite de Christophe Castaner. Pour insister sur l’expression « j’étouffe » détournée lamentablement et je l’espère inconsciemment par le nouveau Ministre de l’Intérieur, elle rapproche encore plus Christophe Chouviat, qui l’a répété 7 fois avant sa mort, de Eric Garner en 2014 ou George Floyd en 2020 qui ont eu ces derniers mots « I can’t breathe » (Je ne peux pas respirer). D’ailleurs,on peut retrouver un beau texte du réalisateur Raoul Peck dans l’hebdomadaire « Le un » du mercredi 17 juin 2020 (Etre noir en France) intitulé « J’étouffe ». On peut saluer les propos de l’auteur qui inscrit bien la question du racisme dans le mécanisme plus global de la domination et de la discrimination. 

Avec Christophe Chouviat on se rend bien compte qu’il n’est pas besoin d’être d’une couleur particulière pour « étouffer », il suffit de subir de plein fouet l’injustice d’un système qui permet, dans des circonstances particulières, à certains être humains d’en finir avec la vie d’autres pour une histoire de mots…

    De la même manière que le racisme me semble par essence une défaite de la pensée, condamner l’ensemble des forces de police pour les agissements de quelques-uns est un non sens. Exactement le même réflexe caricatural qui pousse à stigmatiser toute une communauté, qu’elle soit ethnique ou religieuse, lorsque quelques individus seraient coupables de forfaits condamnables. C’est simplement nier l’individualité de chacun et donc déresponsabiliser un individu de ses propres agissements et surtout, c’est faire preuve d’une totale injustice envers les autres membres du groupe, exempt de tout reproche. L’effet peut même être totalement délétère en poussant certains membres d’une majorité irréprochable au demeurant à excuser, voir défendre les agissements d’une minorité par réflexe irrationnel de préservation de groupe, c’est alors un engrenage qui s’enclenche, une escalade qui débute avec les émotions qui prennent le pas sur la raison.

 

Histoires et contextes particuliers pour relativiser une globalisation simpliste. 

 

     Aux Etats-Unis, tout d’abord on peut parler de racisme systémique, il s’agit bien d’un pays dont les fondations reposent d’une part sur l’éradication quasi totale des indiens d’Amérique et sur les bénéfices économiques tirés des plantations dont la pérennité économique s’appuyait sur l’esclavage des populations venues d’Afrique. Et ce n’est pas l’abolition de l’esclavage suite à la guerre de sécession qui changera foncièrement la situation, l’exploitation prend juste une autre forme en apparence moins violente et la privation des droits des Noirs aux EU a été la norme pendant des décennies. Là, nous pouvons parler de racisme systémique, institutionnel ; l’histoire en est témoin. Avec par exemple les lois Jim Crow qui permettent d’entraver l’application des droits constitutionnels des afro-américains à partir de 1877 dans plusieurs états surtout du sud. Et il s’agit seulement du versant légal… que dire des actions sanglantes du Ku Klux Klan qui a multiplié les lynchages au début du 20ème siècle souvent sous l’œil complaisant des autorités. Plus aucune limite aussi avec ce programme de stérilisation des populations noires mis en place en Caroline du Nord entre 1929 et 1974 comme le relate Le Point[1] : « Ce programme devait servir « l’intérêt public » en empêchant les personnes « faibles d’esprit » de se reproduire. » Le commentaire est ici inutile…  Il a fallu attendre le milieu de ce siècle et l’avènement du mouvement pour les droits civiques avec des figures telle que Rosa Parks, Malcolm X ou Martin Luther King pour que l’abolition de la ségrégation raciale soit déclarée effective. Mais ce ne sont pas ces combats éprouvants et ces droits arrachés au forceps qui peuvent faire disparaître les stigmates sociétaux d’une injustice que la plus haute institution du pays a non seulement permis mais aussi organisé. 

Et il suffit d’observer la multiplication, de nos jours, des violences policières que l’on peut même qualifier « d’exécutions policières » contre les membres de la population afro-américaine ainsi que la résurgence de mouvances suprémacistes  dans ce pays qui se veut un modèle de démocratie et un exemple de progressisme pour le reste du monde. Deux ouvrages puissants permettent de mesurer l’inertie de cette société américaine, le premier La prochaine fois, le feu écrit par James Baldwin et publié en 1962. Il retranscrit bien la pression sociale constante qui touche les Noirs venant des quartiers populaires, ce quotidien toujours menaçant, cette vive impression d’être toujours en sursis et dans l’attente d’un drame, comme si croiser un policier revenait à jouer à la roulette russe…Il montre bien aussi le caractère symbolique des mesures prises contre la ségrégation … Il pouvait paraître pessimiste à l’époque mais l‘avenir lui a donné raison. Et pour mesurer le chemin parcouru sur cette question ou plutôt pour constater le parcours jamais débuté, on peut lire Une colère noire de Ta-Nehisi Coates, une lettre à son fils qui entre en résonnance avec cette lettre écrite par James Baldwin à son neveu 55 ans plus tôt… 2015, l’année de publication de ce livre et pourtant, toujours les mêmes préoccupations, la même pression, les mêmes drames, et sans doute un désenchantement encore plus prononcé après la présidence d’un certain Barack Obama qui n’a rien changé à la donne. 

 

  Le cas de la France semble plus complexe. En effet on peut questionner l’idée d’unicité d’un peuple Noir. Le pays d’origine a beaucoup d’importance et vous serez toujours déconsidéré si vous avez le malheur de demander à quelqu’un originaire de Guadeloupe si sa famille ne vient pas d’Afrique. Alain Mabanckou dans sa préface au livre de Ta-Nehisi Coates fait cette remarque : « Le Noir américain et l’Africain étaient des étrangers l’un à l’autre, et peut-être le demeureront-ils éternellement ». Chez nous on pourrait dire que le Noir africain et le Noir Martiniquais ou Guadeloupéen sont des étrangers l’un à l’autre et peut-être le demeureront-ils éternellement quand bien même leur nationalité française les rapprocherait. Sans même parler des griefs nourris encore sur le territoire français, entre personnes issues d’ethnies différentes ou de pays d’Afrique différents. Pourtant la question est simplifiée pour l’aborder de manière plus globale sur une thématique de couleur seule. On voit bien là que les divisions sont mises de côté afin de concourir  à l’atteinte d’un objectif commun. A un autre niveau de lecture, de la même manière on peut faire un transfert et dire que la dichotomie « Blancs », « Noirs » semble bien inopérante, et apparaît plus comme un moyen de diviser des populations qui devraient plutôt se rapprocher pour défendre leur droit à une justice sociale et à la fin de la domination de supposées « élites ». Autre facteur qui rend obsolète cette distinction : le métissage. En effet les couples dit « mixtes » ne me semblent plus être critiqués et même questionnés de la même manière que dans les années 50 ; dès lors, les enfants de ces couples mixtes, comment peuvent-ils se situer par rapport à ces débats ? Sont-ils trop « noirs » pour ne pas adhérer aux combats de l’antiracisme ou justement pas assez pour y prendre part légitimement ? Peut-être trop « blancs » pour se permettre une seule critique ou pas assez pour s’insurger de certaines dérives injustes ? Ou alors, les individus d’une couleur trop « incertaine », seraient-ils condamnés à devoir se tenir à distance et surtout à se taire ?   Bien sûr la question de la couleur est d’une importance capitale mais l’analyse devrait permettre de prioriser un objectif commun permettant la protection des intérêts particuliers de toutes les minorités et ainsi permettre à tous les individus d’embrasser le combat global.  

     Revenons à la problématique des anciennes colonies qui est donc primordiale et conditionne la relation que va entretenir tout citoyen français avec son pays. Il y a une affaire toujours latente de distanciation avec le passé colonial en France ; comment espérer définir clairement les enjeux lorsque, institutionnellement, on navigue entre omission dans les programmes scolaires, repentance dans les discours politiques officiels et condescendance dans les interventions moins maîtrisées des « représentants » de la République française. Un flou largement entretenu qui permet à l’Etat français de désamorcer toutes les contestations en passant, au gré de la revendication du moment,  du rôle de sauveur  (nous allons vous apporter « le progrès » et nous ne sommes pas du tout intéressé) à celui de victime (nous ne sommes pas responsable des agissements de nos aïeuls, il faut passer à autre chose, nos relations sont totalement normalisées, vous nous critiquez injustement). L’exemple caricatural du manager impuissant à changer les choses qui dit à ses équipes au bord de l’épuisement : « Je vous entends » ; mais en fait sous-entends : « De toute façon on ne changera rien tant que cela tient en apparence ».

 

     Pour ce qui est de la France, pour tenter de mesurer l’évolution de notre société sur cette question on peut prendre pour référence un ouvrage de Frantz Fanon Peau Noire, masques blancs publié en 1952. L’auteur, en plus de son expérience en psychiatrie, s’appuyait sur son expérience personnelle, sur ses propres impressions et sur les témoignages nombreux qu’il avait pu recueillir dans son milieu professionnel mais aussi en dehors. C’est pourquoi, ayant grandi en périphérie de Paris je prendrai mon vécu dans les années 90-2000 (entre mes 7 et 17 ans) comme point de comparaison tout en gardant en mémoire le caractère limité de l’expérience. J’ai pu lire dans son ouvrage : « la France est un pays raciste, car le mythe du nègre-mauvais fait partie de l’inconscient de la collectivité ». Je ne pense pas que l’on puisse décréter cela de nos jours, en tout caspas dans les zones où le brassage culturel lié aux mouvements migratoires a permis de mettre en contact des personnes issues d’horizons divers et ce depuis leur plus jeune âge. Dans mon cas, dans l’école publique, les amitiés se nouaient très simplement entre individus français d’origines sénégalaise, malienne, congolaise, portugaise, espagnole, marocaine, algérienne, guadeloupéenne, martiniquaise… Je n’ai jamais entendu quiconque railler un camarade de classe en parlant « petit-nègre » comme le dénonçait Franz Fanon à son époque. Les remarques désobligeantes touchaient tout le monde sans distinction de couleur de peau et il n’était pas rare d’entendre des expressions telle que : « il faut se méfier des gaulois » ou « il y a du « gwer » aujourd’hui » ; le seul emploi du terme « négro » touchait les personnes de couleur noire s’invectivant à la manière des films américains tels « Boyz in the hoods » ou « Menace to society » et aucun Blanc ne se serait risqué à employer un tel vocabulaire. Bien sûr, cet exemple particulier ne peut avoir valeur de norme mais cela permet de nuancer tout de même l’idée d’une société raciste dans son ensemble à l’égard d’une seule minorité.    

Je reconnais tout de même  que la situation globale est loin d’être idyllique. Notre société n’est pas immunisée contre la bêtise et l’ignorance, d’ailleurs aucun individu ne l’est réellement, le tout est de savoir comment on prend conscience de ce mal, d’identifier son origine et de décider des modalités pour lutter contre. C’est d’ailleurs toute la question. On peut trouver de nombreux motifs de s’indigner en France, on peut être atterré par les témoignages de médecins noirs au micro de France Culture ayant subi de plein fouet les attaques méprisantes de certains patients[2], par l’alerte donnée par le défenseur des droits Jacques Toubon concernant les discriminations fondées sur l’origine que ce soit pour l’accès à l’emploi, au logement, à l’éducation, aux formations, aux loisirs… comme le rappelle Le Monde[3] ou encore par l’existence de groupes Facebook de membres de la Police où s’échangeaient des messages racistes[4]. Mais le summum en la matière a été atteint par un certain Nicolas Sarkozy qui nous a ramené, en une sortie médiatique, au siècle dernier ; dans l’émission Le Quotidien, il a tout de même osé l’association de « singes » et « nègres »[5] (du livre d’Agatha Christie Les dix petits nègres) : « Je ne sais plus… On a le droit de dire singe ? On a plus le droit de dire… On dit quoi ? Les dix petits soldats maintenant ? C’est ça ? » Surréaliste… mais finalement comment s’étonner de la part de celui qui s’est permis de dire dans une allocution à Dakar en 2007[6] : « Le drame de l’Afrique c’est que l’homme africain n’est pas assez rentré dans l’histoire. » Il existe bien des esprits rétrogrades encore plein des vestiges mentaux du colonialisme mais pour autant, en France, à ma connaissance, pas de policier tirant à vue ; on peut parler d’un racisme plus rampant, sournois qui va se terrer là où se révèlent les relations de pouvoir, la reconnaissance ou non d’un statut social. Donc oui, il y a du racisme en France et contrairement aux idées reçues ce n’est pas un phénomène qui touche principalement les classes populaires, au contraire, il semblerait que cela soit plutôt une constante dans les milieux où s’exercent certaines formes de pouvoir : certains DRH et chefs d’entreprise qui ont le pouvoir de faire accéder au marché du travail ; certains policiers qui ont le pouvoir de soumettre physiquement avec ce concept de « violence légitime » ou encore les décisionnaires politiques qui semblent presque nostalgiques du colonialisme ou des grandes heures de la « françafrique » et qui ont le pouvoir d’influencer directement nos conditions de vie. Je me risquerais même à avancer une hypothèse selon laquelle le racisme s’avère être un moyen d’éliminer symboliquement la concurrence, de réduire préventivement les chances de certains d’accéder à certains postes réservés.  

 

Le racisme : outil originel du système capitaliste pour mettre en œuvre l’exploitation humaine.

 

     Il semble nécessaire de revenir de nouveau en arrière pour s’intéresser à ce qui est à l’origine de l’opposition entre « Blancs » et « Noirs », opposition dont l’inanité me semble totale. Pour cela, un documentaire Arte réalisé par Fanny Glissant est particulièrement éclairant : Les routes de l’esclavage, qui se décline en 4 épisodes de 52 minutes chacun. Dans le 3ème épisode, 1620-1789 : Du sucre à la révolte, est avancée l’idée selon laquelle l’un des fondements de la prospérité occidentale est bien l’esclavage et c’est bien ce même esclavage qui serait à l’origine du concept de race, de distinction entre d’un côté les « Blancs » et de l’autre les « Noirs » ; concept suranné qui marque encore les mobilisations actuelles sans pour autant que l’on soit tenté de le remettre en cause. Comme si nous voulions nous enfermer dans un récit créé de toute pièce par les esclavagistes de l’époque, comme si nous ne voulions pas finalement traiter l’origine du mal, comme si nous continuions coûte que coûte à nous inscrire dans la droite ligne de la traite des africains et surtout de son traitement langagier. Ne pas reconnaître que ce concept est inopérant c’est ne pas vouloir avancer, c’est tourner le dos au réel problème de la domination de l’homme sur l’homme. Oui, dans nos sociétés développées les sévices physiques sont moins directs et spectaculaires, oui, les rapports de domination sont moins flagrants, mais doit-on choisir un moindre mal entre domination physique forcée et domination mentale consentie ? La servitude volontaire des masses actuelles est bien une servitude ; c’est cela qu’il ne faudrait pas accepter car ceux qui acceptent ces nouveaux rapports de domination s’appuyant sur des distinctions de parcours académiques, de statuts sociaux ou de poste en entreprise, à force de renoncement, passent du statut de victime au statut de complice. 

     Le racisme est bien une injustice mais la mère de toutes les injustices est la domination, et même la tentative de justification, quelle qu‘elle soit, de cette domination d’un groupe d’individus sur un autre. Peut-être suis-je daltonien, mais la domination je ne la vois pas d’une seule et unique couleur. Elle prend diverses formes au gré des circonstances et toujours dans le même but d’accumulation de richesses par quelques uns. 

     D’ailleurs, dans le 2ème épisode de cette série documentaire : 1375-1620 : Pour tout l’or du monde, on apprend vite qu’au 16ème siècle il y avait collusion entre élites blanches et élites noires avec mise en place d’un système élaboré de prédation qui faisait fi de la couleur de peau. On relate bien ici l’opportunisme d’une minorité de commerçants qui exportaient leurs modèles économiques basés sur l’esclavage par des stratagèmes élaborés à base d’occasions saisies sans scrupules, de récits inventés ; tout en craignant plus que tout, en combattant et dans certains cas en fuyant les insurrections armées violentes qui, elles seules, étaient capables de faire vaciller l’édifice.

    Enfin, dans  le dernier épisode, 1789-1888 : Les nouvelles frontières de l’esclavage, certains intervenants mettent en lumières des clés de compréhension indispensables. Ainsi Silvia Hunold Lara, une universitaire brésilienne expliquent : « l’esclavage n’a pas existé à cause du racisme, c’est l’histoire du racisme qui est lié à celui de l’esclavage, pas le contraire ». Vincent Brown de l’université de Harvard nous aide à tenter de reconstruire une pensée installée depuis trop longtemps : « l’histoire de l’esclavage n’est pas l’histoire des Noirs ni juste celle de la colonisation blanche. L’histoire de l’inégalité des hommes est notre héritage à tous, que nous devons tous combattre ».

 

     Il est pourtant très difficile de remettre en cause des discours encrés depuis des années même chez les spécialistes. J’en veux pour exemple les propos de la politologue Françoise Vergès sur France Culture le 16 juin 2020[7]. Parmi nombre de réflexions intéressantes, elle essaie de démontrer l’existence d’un racisme structurel et retombe dans le schéma de base. Elle explique : « Sur la question de ces racismes structurels, ça s’est vu avec la pandémie. Quel a été le département le plus touché en France ? Le 93. Qui ont été les personnes qui remplissaient ce qu’on a appelé les métiers essentiels : les éboueurs, les femmes de ménages, les personnes qui s’occupaient dans les hôpitaux ? Ce sont les personnes qu’on dit « racisées ». » (…) « C’est ce département qui a été le plus touché, le taux de mortalité le plus important était là. Pourquoi ? Est-ce que c’est parce que naturellement ces personnes, le virus va les choisir, ou c’est parce qu’effectivement des structures de santé déficientes, des raisons de se mal nourrir pour des raisons absolument économiques et sociales et rien à voir avec le fait de cela. C’est ça le racisme structurel. Le racisme structurel c’est la Martinique ou deux statues de Schoelcher sont déboulonnées, où vous avez un taux de mortalité infantile trois fois plus élevé qu’en France, trois fois plus élevé, or c’est un département français où devrait régner l’universalisme ». 

Première incompréhension de ma part : la question n’est donc pas que certaines personnes (quelle que soit la couleur de peau) vivent dans des quartiers délaissés par les pouvoirs publics, qu’il existe des métiers ayant montré une importance vitale pendant le confinement qui sont complètement déconsidérés, mais plutôt que ces quartiers sont occupés par des personnes « racisées », que ces métiers sont exercés par des personnes « racisées »… Elle passe donc totalement à côté de la question principale : la justice sociale…  Préfèrerait-elle que ces postes soient toujours déconsidérés mais occupés par plus de personnes blanches ? Que ces quartiers soient toujours délaissés mais habités par plus de personnes blanches ? 

A l’interrogation du journaliste concernant le risque d’essentialisation, de remplacement d’une question sociale par une question raciale elle répond : « La racialisation de la société croise la question sociale. Si le fait que les personnes « racisées » occupent toujours les emplois les moins qualifiés, les plus sous-payés par exemple les femmes de ménage dans les hôtels qui sont en grève de l’hôtel Ibis, en grève depuis juillet et qui sont complètement surexploitées c’est de ça que nous parlons, là, où la question sociale croise celle de la « racialisation ». » 

Je suis ici en total désaccord avec elle. A mon sens, réduire les inégalités sociales doit être le combat principal, c’est la seule manière d’attaquer le mal à la racine ; la fin des inégalités sociales reviendrait à annihiler les moyens de l’expression sociale du racisme. Il s’agit d’établir l’objectif le plus pertinent : je suis « racisé » et je subis des inégalités sociales, il ne sert à rien de lutter pour que d’autres subissent ces inégalités à ma place mais plutôt de faire disparaître ces inégalités pour que je ne les subisse plus et qu’elles ne puissent plus être le reflet d’un racisme quelconque. Le but n’est pas qu’il y ait autant de pauvres Blancs que de pauvres Noirs mais qu’il n’y ait plus de pauvres du tout.   

Plus tard elle reprend : « la question de la « racialisation » c’est aussi les blancs » (…) « en tant que personne blanche qu’est ce que je fais pour déconstruire une société qui me donne des privilèges qui n’ont rien à voir ni avec mes compétences ni avec mes talents mais la manière dont on me perçoit ? » 

Pas d’abolition des privilèges pour elle mais seulement la nécessité de faire en sorte que les personnes « racisés » accèdent aussi à ces privilèges… donc, forcément au détriment d’autres personnes. Il s’agit au final de revendiquer un droit à la domination, pas de mettre fin au principe même de domination.

On peut être aussi étonné de l’exemple pris à propos de manifestations aux EU lorsque des personnes blanches se mettaient entre la police et les manifestants noirs pour les protéger car ils risquaient moins d’être frappés. Est-il utile de rappeler qu’en France les manifestations antiracistes ont été plus que tolérées alors que les manifestations sociales des Gilets Jaunes ont été largement réprimées dans le sang ?

La question du capitalisme intervient en fin d’entrevue, Guillaume Erner et son invitée mettent le doigt sur le point qui me semble essentiel : celui du capitalisme néolibéral qui s’accommode facilement et récupère même la question raciale. C’est à ce moment que la contradiction dans le discours de Madame Vergès se fait jour et que toute la valeur de son propos s’effondre. Elle en convient : un jeune « racisé » s’épanouira mieux dans une société libérale de type anglo-saxon alors que celle-ci est la plus inégalitaire… donc, c’est bien la question des inégalités et de la justice sociale qui doit primer si l’on veut que personnes « racisées » et « non racisées » s’épanouissent de concert. L’enjeu est donc bien le combat contre le capitalisme néolibéral, le reste n’est que division des forces.

 

Oubli de l’essentiel, un mouvement qui pourrait tellement plus. 

 

     Mis à part ces écueils qui me semblent majeurs, reconnaissons tout de même la force d’un mouvement qui a su mobiliser un nombre considérable de personnes et à opérer à une sidération générale des décideurs politiques en place : « loi », « raison », « émotion » … les circuits neuronaux de nos gouvernants se sont bien déconnectés : intervention ? pas d’intervention ? interdiction mais pas de sanction ? Nous pouvons à peine envisager l’embarras de ce gouvernement s’il voyait les manifestants antiracistes se joindre aux revendications sociales en masse. Encore faudrait-il que ces militants antiracistes aient conscience qu’en faisant cela ils luttent bien pour leurs droits. Malheureusement cela ne semble pas en prendre le chemin lorsque l’on entend les propos d’Assa Traoré dans un discours improvisé parlant de « gilets jaunes fachos »[8]… Espérons qu’il s’agissait d’une maladresse car cela pourrait avoir des répercussions catastrophiques pour des tentatives de mobilisations communes. 

     Pourtant nous aurions pu penser que la prise de conscience aurait été plus rapide. Prenons l’exemple de Malcolm X Outre-Atlantique. Activiste virulent s’il en est, qui a largement appuyé sur cette opposition « Noirs »/« Blancs », ses discours ciblaient au départ la population « Noire » puis, suite à sa rupture avec Elyjah Mohamed, il semblait plus ouvert à la mobilisation de tous les « racisés » (« latinos » et « asiatiques ») et il y a fort à parier que l’étape d’après l’aurait mené à parler à tous les exploités. Intéressons-nous à son discours du 3 avril 1964, Le vote ou la révolte (The ballot or the bullet) traduit par Florence Guichon chez afromundi. Certains de ses mots, isolés dans une rhétorique anti-Blancs auraient dû avoir un impact plus marqué et appelaient clairement à une évolution théorique : « Aujourd’hui, en parlant en ces termes, il ne faut pas que vous croyiez que nous sommes contre les Blancs, mais que nous sommes contre l’exploitation, contre la dégradation, contre l’oppression ». Notre situation actuelle montre bien que, la question de la couleur dépassée, tout occidental peut être exploité, dégradé, opprimé. 

    Une évolution clairement bien identifiable chez Franz Fanon. Toujours dans Peau noire, masques blancs, il parlait en ces termes : « le problème noir ne se résout pas en celui des Noirs vivant parmi les Blancs, mais bien des Noirs exploités, esclavagisés, méprisés par une société capitaliste, colonialiste, accidentellement blanche. ».  Et dans la partie bien nommée En guise de conclusion, déjà se précisait une forme d’horizon de la lutte : « Je ne veux pas être victime de la ruse d’un monde noir. Ma vie ne doit pas être consacrée à faire le bilan des valeurs nègres. Il n’y a pas de monde blanc, il n’y a pas d ‘éthique blanche, pas davantage d’intelligence blanche. ». Et dans les dernières lignes : « Moi, l’homme de couleur, je ne veux qu’une chose : Que jamais l’instrument ne domine l’homme. Que cesse à jamais l’asservissement de l’homme par l’homme. C’est à dire de moi par un autre. Le nègre n’est pas. Pas plus que le Blanc.  Tous deux ont à s’écarter des voies inhumaines qui furent celles de leurs ancêtres respectifs afin que naisse une authentique communication ». Ces propos sont déjà éclairants mais nous pouvons relever l’expression de l’aboutissement de sa réflexion dans son dernier ouvrage, Les damnés de la terre, fruit d’une vie trop vite fauchée passée à s’indigner et à lutter contre l’injustice en général et contre l’une de ses expressions la plus aboutie, le colonialisme : « Le capitalisme dans sa période d’essor, voyait dans les colonies une source de matières premières qui, manufacturées, pouvaient être déversées sur le marché européen. Après une phase d’accumulation du capital, il en arrive aujourd’hui à modifier la conception de la rentabilité d’une affaire. Les colonies sont devenues un marché. La population coloniale est une clientèle qui achète». On peut reconnaître que le colonialisme est par essence raciste, il se justifie bien par cette fausse idée de la supériorité d’un peuple sur un autre.  Mais dans quel but ? Comme l’explique Franz Fanon, il est toujours question de mettre en place les rouages du système capitaliste, je considère même que le capitalisme s’est fondé sur le racisme, une sorte d’opportunisme malsain qui voulait qu’à l’époque, les élites occidentales se racontaient cette histoire afin de justifier l’écrasement de la concurrence des populations locales par le fer, et ce pour l’accaparement des ressources. Bien sûr les récits ont évolué avec le temps, les relents racistes sont condamnés au moins dans les mots mais se terrent toujours de manière plus ou moins subtile dans tous les secteurs essentiels de notre société qui mettent en jeu une forme d’exploitation ou d’exercice de pouvoir.

Le racisme tel que nous le connaissons aujourd’hui, qui tire son origine des premiers temps du capitalisme mondialisé, pourrait-il perdurer sans ce même capitalisme ? Racisme et capitalisme, ne sont-ils pas si intiment liés que l’un ne pourrait pas survivre sans l’autre ? Le racisme actuel n’est-il pas le symptôme persistant du mal originel qu’est le capitalisme ? Supériorité, exploitation, valeur, concurrence, hiérarchie, autant de concepts qui peuvent définir à la fois racisme et capitalisme. Ce dernier se réinvente constamment en fonction des circonstances pour se rendre acceptable suivant les caprices de la pensée dominante autoentretenue, cependant, il est bien la racine. Tout traitement efficace ne peut s’attacher seulement à faire disparaître le symptôme, c’est bien la racine qu’il convient d’atteindre. Pour ce faire, rien de mieux qu’un combat social global contre les injustices dans leur ensemble.  

 

     Bien sûr il est acceptable, légitime et même nécessaire de crier sa rage quand une injustice est subie, et on pardonnera quelques outrances incontrôlées ; cependant, une fois ce stade émotionnel passé, la réflexion doit se faire plus tranchante et permettre de trouver un point d’équilibre pour garder le combat du côté de la « saine radicalité », une fois de plus il est question de mesure et de discernement. Discernement dont fait bien preuve Raoul Peck, toujours dans son texte J’étouffe : « Alors qu’il faut juste faire l’effort de comprendre qu’on est arrivé à la fin d’un bien trop lourd héritage d’injustice, de déni et de profits, construits sur la misère des autres », ou plus loin : «Le racisme ? Juste une partie de la topographie. Car tout est connecté. La recherche de superprofits qui écrasent forcément un autre ailleurs, la destruction de la planète, l’exploitation des plus faibles, la haine de l’autre, la consommation à outrance, quel qu’en soit le prix (encore une fois payé par d’autres), tout cela, comme le miroir est brisé, rend négligent et indifférent ». Belle lucidité, voilà une pensée qui s’inscrit bien dans la continuité d’illustres prédécesseurs, le point de départ possible d’une mobilisation totale de tous les exploités. S’intéresser à la question raciale de manière exclusive revient tout simplement à laisser un autre facteur justifier la domination sociale, politique et économique. La domination de l’homme sur l’homme, c’est bien le seul terreau fertile du racisme : il faut bien trouver une raison pour dominer. Et si ce n’est plus la couleur de peau, ce sera autre chose : « niveau d’intelligence », parcours académique, religion… de tous temps le mécanisme a été le même et il ne tient qu’à nous de l’enrayer en dépassant des clivages qui n’ont pas lieu d’être. 

 

P.M.

 

 



mardi 1 décembre 2020

Comment les médias traditionnels modèlent la réalité par un traitement partial et partiel de l’information, illustration par l’exemple.

    Mon attention s’est portée sur le billet politique de Frédéric Says le 30 novembre 2020 dans la matinale de Guillaume Erner sur France Culture[1]. Tout d’abord il faut noter que j’apprécie particulièrement les analyses de cet intervenant ; il paraît toujours mesuré et distille les bonnes formules avec un ton si neutre que l’on pourrait penser que chez lui l’objectivité est une seconde nature. 

    Dans ce billet intitulé : « « Article 24 » : le gouvernement empêtré », il explique  l’impasse politique dans laquelle se trouve l’exécutif  avec cette proposition de loi très contestée. Pour lui « c’est un trait de l’époque, si le social mobilise moins, les cortèges se forment plus facilement pour les libertés et pour l’identité, que pour les droits sociaux et le partage de la valeur ajoutée. » Il en veut pour preuve que « le gouvernement a pu faire passer la baisse des allocations logement, la réécriture du code du travail, tout cela sans heurt majeur, comme si une partie de la population, sur le volet social, avait entériné la désillusion, comme s’il était chimérique d’imaginer de nouveaux droits sociaux, comme si maintenir les droits actuels était déjà perçu comme une victoire ».  Et bien, malgré la forme toujours égale du discours, il est impossible ici de cacher un jugement de valeur sous les traits d’un argumentaire sobre. 

Il faudrait accepter comme vérité que les mobilisations pour les droits sociaux ont été moins importantes que celle pour les droits sociétaux. Pour qui a observé de près les manifestations depuis le début  du quinquennat, que ce soit contre la destruction du code du travail, pour la sauvegarde du statut des cheminots, pour la sauvegarde du service public ou contre la réforme des retraites  cela ne paraît pas du tout une évidence… Et que dire de l’oubli ici de mentionner la mobilisation des Gilets Jaunes, mouvement social par excellence qui a secoué toutes les certitudes de ce gouvernement. Il serait d’ailleurs bien mal avisé de vouloir se baser sur des comparaisons en termes de chiffres qui varient autant qu’il y a de commentateurs et qui pourtant me semblent d’égal importance dans tous ces types de manifestations ;  mention spéciale tout de même pour les derniers qui sont restés actifs de longs mois à partir de novembre 2018. 

     Je considère ici que Monsieur Says, sous couvert d’une pensée originale, se met tout simplement dans la position du défenseur de la pensée dominante initiale qu’il a posé comme hypothèse de départ de sa démonstration. Malgré tout j’ose espérer qu’il n’ait pas fait preuve de malhonnêteté intellectuelle, même si son analyse opère comme une boucle de retrocontrôle positive pour justifier des thèses qui me paraissent contestables.

En effet, avec ce genre de propos impossible à démontrer on peut facilement « créer l’événement » ou du moins pousser à son avènement, à la manière de l’énonciation d’une prophétie autoréalisatrice. Si j’avance, de concert avec plusieurs autres médias à ma suite, que les combats sociétaux sont plus mobilisateurs que les combats sociaux j’expose le citoyen auditeur à réfléchir d’une certaine manière lorsqu’il identifie ce qu’il considère comme une injustice intolérable ; deux possibilités : « c’est une question sociale, pas besoin de me mobiliser car personne ne suivra le mouvement, c’est un fait » ou « c’est une question sociétale, allons-y c’est un sujet fédérateur »  de la même manière vis à vis des politiques qui tendraient l’oreille : « pas de soucis on peut enfoncer le clou sur cette question des droits sociaux, personne ne va réagir » et de l’autre côté « occupons le terrain sur le sociétal, une fois la catharsis consommée cela ne nous coutera pas grand chose pour satisfaire les concitoyens, le « business » sera préservé et en plus cela nous permettra de détourner l’attention des autres manœuvres législatives ».

Les médias « mainsteam » peuvent ainsi défendre une certaine vision sous la forme d’un militantisme voilé en faveur de certains combats. Pour le cas des différents types de manifestations populaires, on peut facilement identifier lesquels s’attirent leurs faveurs ; pour cela il suffit d’écouter les commentaires des présentateurs, éditorialistes et journalistes les plus présents. Deux facteurs principaux peuvent retenir notre attention : comment sont qualifiés les militants, les combats qu’ils défendent et de quelle manière sont relatés les faits en termes de heurts et de chiffres. Tout d’abord les militants défendant le statut des cheminots, le code du travail, le service public, le maintien du système de retraites, ils sont présentés comme des gens voulant freiner la croissance française, des privilégiés qui s’accrochent à leurs avantages ; dans leur cas on accorde plus de confiance aux chiffres de la préfecture, on raille volontiers les annonces des syndicats et on met la focale sur le moindre feu de poubelle en disant que ces manifestations troublent la tranquillité citoyenne et gênent les commerçants. A l’inverse les activistes antiracistes, féministes, écologistes sont plus volontiers présentés comme des défenseurs de la tolérance et de la justice et on insistera plus facilement sur les données chiffrées qui émanent d’organismes indépendants tout en parlant simplement de « quelques échauffourées », à moins que les débordements ne deviennent trop visibles et dans ce cas quelques casseurs ont « volé » la manifestation. Pour moi toutes ces mobilisations sont légitimes, le problème est la différence de traitement. Ainsi nombre d’analystes honnêtes font évoluer leurs idées en circuit fermé à l’intérieur d’un cadre idéologique fixé insidieusement d’avance. Ces pensées apparaissent comme des sortes de greffons intellectuels de prime abord vivaces sur un arbre idéologique dépérissant.

Revenons aux propos de Frédéric Says qui ponctue sa démonstration pour prouver que l’économie n’intéresse plus en faisant référence à un article de Médiapart, « l’enquête fouillée sur AXA qui aurait créée une structure au Luxembourg pour échapper en partie à la fiscalité française » avec toujours, selon ce média « près de 100 millions d’euros d’impôts soustraits au fisc français » ; enquête qui n’aurait pas intéressé beaucoup de monde. Cet argument peut être réfuté selon deux angles d’attaque ; dans un premier temps en avançant le contre-exemple de l’intérêt populaire pour la question de la privatisation très contestée d’ADP, question économique s’il en est, qui a entrainé la mise en place d’un référendum avec freinage gouvernemental et marche arrière médiatique ; et dans un second temps l’argumentaire se démonte de lui même lorsque le journaliste explique que presque personne n’a pris connaissance de cette affaire, ce qui serait la preuve de l’absence d’intérêt pour la question économique… il a donc le culot de rendre les citoyens coupables du manque de relais médiatiques sur des sujets sensibles. Il y a un fait majeur : les médias sont silencieux sur la question mais le fait que vous n’en preniez pas connaissance prouve que vous ne vous y intéressez pas. Raisonnement aussi puissant que celui du chien qui tente de se mordre la queue…

 

P.M.

     

Pourquoi je ne voterai pas à l’élection présidentielle de 2022

Dimanche 10 avril 2022 je ne serai pas en déplacement, j’aurai la capacité de me rendre au bureau de vote, je ne me désintéresse pas du tout...