mercredi 11 novembre 2020

Du mésusage de la langue 1

Quand l’imprécision dans le choix des mots peut conduire à se créer de nouveaux ennemis.

 

    Albert Camus, dans un compte rendu de l’ouvrage de Brice Parain, Recherche sur la nature et la fonction du langage, a écrit : « L’idée profonde de Parain est une idée d’honnêteté : la critique du langage ne peut éluder ce fait que nos paroles nous engagent et que nous devons leur être fidèles. Mal nommer un objet c’est ajouter au malheur de ce monde. » (Le Monde.fr en partenariat avec Dico-citations)[i].

 

    L’horreur terroriste islamiste a franchi un nouveau palier avec le meurtre de l’enseignant Samuel Paty le vendredi 16 octobre 2020 et l’assassinat de 3 personnes au sein de la basilique Notre-Dame de Nice le 29 octobre 2020. Malheureusement c’est une escalade sans fin et ces faits succèdent, pour les plus récents, aux meurtres ignobles de Montauban et de l’école Ozar Hatorah en mars 2012, à l’attaque meurtrière du 13 novembre 2015 au Bataclan, aux tueries de Charlie Hebdo et de l’Hyper Casher de janvier 2015, au double homicide d’un couple de fonctionnaires du ministère de l’Intérieur à Magnanville le 13 juin 2016, à l’assassinat du père Jacques Hamel le 26 juillet 2016 ou encore à l’exécution du Lieutenant Colonel Arnaud Beltrame et de deux autres otages le 23 mars 2018 à Trèbes. Des évènements dramatiques auxquels aucun citoyen français ne peut rester insensible et qui sont dénoncés dans des articles de presse, des tribunes et des interventions de responsables politiques. Autant de condamnations publiques, de réactions, qui, aussi virulentes soient-elles, sont nécessaires et compréhensibles. Cependant depuis plusieurs années on peut noter une forme de glissement sémantique qu’il convient de relever au risque de voir ces discours dériver vers des accusations que l’on pourrait juger abusives, donc contre productives.  

 

     Afin d’être le plus honnête possible, je tiens à préciser ici que je me considère comme incroyant. Personnellement, je suis intellectuellement indisposé par toute forme de religion régissant la vie d’autrui. Malgré tout j’en comprends l’importance et la respecte pour tout individu qui souhaite vivre dans la foi de son dieu et dans la tolérance envers son prochain.   

 

     Le terme qui va nous intéresser ici est « islamisme ». Selon Le Petit Robert 2013 il existe deux acceptations possibles : tout d’abord « religion musulmane » synonyme donc d’islam ou de mahométisme et, en second, « mouvement politique et religieux prônant l’expansion et le respect de l’islam ». Le dictionnaire Larousse en ligne reprend ces deux sens[ii], d’une part en parlant de « synonyme vieilli de islam » et donc par extension de ce qui relève de la doctrine et des pratiques de cette religion ; d’autre part, en expliquant qu’il « désigne, depuis les années 70, un courant politique de l’islam faisant de la charia la source unique du droit et du fonctionnement de la société dans l’objectif d’instaurer un Etat musulman régi par les religieux ». Il y aurait donc un sens plus « ancien » qui pourrait être comparé avec celui donné au « christianisme » (relatif à la religion chrétienne) ou au « judaïsme » (relatif à la religion juive), et un autre moderne qui serait plutôt le reflet d’un caractère radical et incompatible avec notre République française ou autre système politique occidental. De prime abord, assez naturellement, j’ai tendance à reconnaître la première acceptation qui me semble la plus intuitive, la moins porteuse de sous-entendus et d’interprétations possibles. D’ailleurs si l’on s’intéresse à l’article de l’encyclopédie Larousse sur le sujet[iii] une nouvelle différenciation apparaît entre « islamisme radical » qui « prône une rupture violente avec l’ordre établi et un endoctrinement autoritaire et intolérant » et « islamisme modéré » qui « privilégie une réislamisation des mœurs et de la législation, mais peut accepter des compromis, des règles démocratiques et reconnaître la légitimité des pouvoirs en place ». Le premier est donc bien incompatible avec notre République et le second peut tout à fait trouver sa place dès lors qu’il est bien clair que notre Etat laïc ne tolèrera en aucun cas d’ « islamisation » de la législation et sera vigilant quant à  une « « islamisation » des mœurs dans les limites fixées par la laïcité française. Dans tous les cas le concept peut tout à la fois être englobant, généralisant ou dénonciateur, discriminant au sein d’un discours en fonction de l’auteur, du propos et des récepteurs du message. Il semble  donc indispensable de faire preuve d’un minimum de précaution et surtout de précision dans l’emploi des termes. 

     Le glissement sémantique précédemment évoqué est flagrant dans les discours médiatiques depuis plusieurs années et se caractérise par le passage de la dénonciation précise du terrorisme et des idéologies qui facilitent son émergence à une dénonciation très générale de l’ « islamisme ». Il était habituel d’entendre ou de lire la critique et la condamnation de « l’intégrisme islamiste », du « terrorisme islamiste », du « salafisme », du « djihadisme » ou encore  de «l’extrémisme islamiste »… De nos jours fleurissent les articles et interventions publiques plus flous avec la simple référence à «islamisme ».  On peut facilement imaginer le risque pris avec une telle simplification. En effet il semblerait que sur le territoire français l’islamisme soit synonyme d’intégrisme, de fondamentalisme, de charia obligatoire… cependant, il s’agit d’un rapprochement de notions finalement assez arbitraire et rien n’empêche qui que ce soit de retenir la première définition du terme. A l’heure ou l’information est disponible quasiment instantanément dans presque tous les coins du globe il serait bon parfois tenter de penser comme les interlocuteurs potentiels qui n’ont pas une appréciation franco-française des concepts. Imaginons des populations de confession musulmane dans des contrées lointaines traditionnellement modérées (ou du moins non expansionnistes) se réclamant tout de même de « l’islamisme » ; ce qui est leur droit. Comment réagir aux propos de responsables politiques français tels que l’eurodéputé LR François Xavier Bellamy : «L’islamisme […] est une volonté de détruire, une guerre à mort menée contre le cœur de nos principes. […] Quand déciderons-nous enfin de combattre ?» du maire LR Gille Platret : «Guerre! Guerre ! Guerre à l’islamisme ! Cessons d’être des agneaux avec les loups !»[iv] de la dirigeante du RN, Marine Le Pen : «Une guerre nous est menée et nous devons mener cette guerre. Cette guerre nous ne la menons pas contre un État, mais contre une idéologie: l'islamisme»[v]. Comment peuvent-ils recevoir les propos du ministre de l’intérieur Français qui avance dans une entrevue sur RTL que l’islamisme est « une forme de fascisme du 21ème siècle »[vi] ? Comment un jeune musulman modéré élevé dans le respect de l’islamisme devrait accueillir la lecture d’une lettre par un de ses enseignants expliquant qu’il ne faut pas craindre « d’être traité de raciste en rejetant l’islamisme »[vii]… et il a beau être précisé dans ce même texte que « condamner l’islamisme ne revient pas à condamner l’ensemble des musulmans », les mots ont un sens qui n’est pas forcément le même pour tous et la déconnection mentale et la rage pourraient rendre imperméable aux tentatives explications…  

Je suis tout à fait d’accord avec le fait que la République française doive être vigilante avec l’islamiste sur notre territoire mais une vigilance ni plus ni moins importante que celle entretenue envers le christianisme, le judaïsme ou même le bouddhisme. Et même si les crimes religieux qui nous touchent actuellement sont commis au nom de l’islam, il ne faudrait pas penser qu’on peut régler ce problème majeur en attaquant la religion de tous les musulmans ; heureusement pour les chrétiens qu’à une certaine époque, les crimes perpétrés au nom de la religion chrétienne (croisades, inquisition, évangélisation forcée de tant de peuples…)  n’ont pas été à l’origine d’une remise en cause du christianisme dans son ensemble.   

Un président de la République peut toujours tenter de clarifier les choses dans les colonnes du Financial Times : « La France ne se bat pas contre l’islam mais contre le séparatisme islamiste »[viii] lorsque « en même temps » il est bien incapable de modérer ses propres ministres…  On peut toujours tenter, après coup, d’apaiser les esprits mais le mal est fait pour un certains nombre de musulmans qui pensent (peut-être à tort malheureusement) qu’on leur déclare la guerre pour leur croyance. 

Je voudrais tout de même faire référence aux propos plus justes tenus par des individus faisant preuve de plus de responsabilité. Ils permettent, par leur mesure, un certain retour à l’équilibre. Tout d’abord le sénateur LR Philippe Bas qui m’a paru très clair lorsqu’il a déclaré sur France info : «Il faut faire attention au choix des mots. Nous sommes en guerre contre les terroristes, pas contre l’islam. »[ix]. Et, pour plus de précision j’invite à lire le grand entretien paru dans Marianne de l’islamologue et frère dominicain Adrien Candiard. On y trouve notamment la déclaration reprise dans le titre de l’article : « nous avons inventé le mot-valise « islamisme », alors qu’il faut parler de fanatisme »[x].  

 

     Certains penseront peut-être que « je joue sur les mots » et bien je leur rétorquerais que compte tenu des enjeux chaque détail est important. Lorsque l’on se veut juste et ferme, il faut s’en donner les moyens en ne laissant aucune place à la négligence du sens ; surtout lorsqu’une simple déclaration martiale maladroite entraine incompréhension  et possible entrée dans le camp ennemi de millions voir de milliards d’individus pouvant se sentir agressés alors qu’eux ne demandaient rien d’autre que vivre leur foi à des milliers de kilomètres.     

 

P.M.



Pourquoi je ne voterai pas à l’élection présidentielle de 2022

Dimanche 10 avril 2022 je ne serai pas en déplacement, j’aurai la capacité de me rendre au bureau de vote, je ne me désintéresse pas du tout...