Est-il besoin ici de rappeler le désarroi exprimé par un grand nombre de nos concitoyens qui voient leurs conditions de travail et par extension leurs conditions de vie se détériorer jusqu’à un niveau jamais atteint depuis la période d’après guerre ? Comment ne pas comprendre le désespoir qui est en train de se muer en rage pour nombre d’entre eux ? Cris d’alarme jusqu’au suicide chez les personnels de santé, cris d’alarme jusqu’au suicide chez les enseignants, cris d’alarme jusqu’au suicide chez les forces de l’ordre, cris d’alarmes jusqu’au suicide chez les agriculteurs… N’a-t-on pas entendu les plaintes toujours vivaces des Gilets Jaunes concernant un droit élémentaire à vivre dignement, surtout lorsqu’on apporte sa contribution à la société française en terme de travail et d’impôts ? C’est tout le tissu social français qui est en train de se déchirer. Comment croire, pour ceux qui ne sont pas encore touchés, que laisser leurs pairs à leur misère va les préserver longtemps ? C’est le principe de base de toute société : une interconnexion entre les individus qui oblige à la considération, et en France, à la solidarité héritée du Conseil National de la Résistance. Prenons l’exemple des services publics ; si nous laissons sombrer ces personnes qui tiennent à bout de bras les services de santé, d’enseignement et de sécurité, comment espérer un seul instant que la société française dans son ensemble ne s’effondre pas ? Comment imaginer être soigné correctement dans des services hospitaliers à bout de souffle, comment oser évoquer une école de la confiance lorsque les enseignants déconsidérés par leur propre gouvernement n’ont même pas les moyens de réaliser leur mission, comment croire qu’il serait possible d’assurer la sécurité de nos familles lorsque des fonctionnaires de police ne sont même pas payés et sont même poussés à réprimer les français défendant leurs droits ? Il serait d’ailleurs bon de faire référence à la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, article 12 : « La garantie des droits de l’homme et du citoyen nécessite une force publique instituée pour l’avantage de tous et non pour l’utilité particulière de ceux auxquels elle est confiée ». En somme faut-il préciser que les forces de l’ordre ont pour mission la protection de l’ensemble du peuple français et non pas la protection d’une petite caste de dirigeants veillant sur leurs propres intérêts contre ceux de leur population ?
Pour toutes les professions évoquées, la mobilisation, la manifestation de la colère ne sont même plus des questions d’idéologie ou de principe, c’est devenu une question de survie. Pour nous tous, par solidarité, il est indispensable de nous mobiliser massivement. Nous n’avons plus le choix, il faut œuvrer à la préservation de nos droits sociaux tout en gardant en ligne de mire l’intérêt général, seul garant d’une existence décente pour nos enfants quels que soient leur position sociale et les accidents de la vie qui pourraient les toucher.
Intéressons-nous aux évènements récents, marquants en terme de mobilisation populaire et ayant montré une certaine efficacité. Nous ne pouvons pas contester le fait qu’un seul mouvement a engendré une inflexion directe et médiatiquement importante de la part du président de la république depuis le début du quinquennat : le mouvement des Gilets Jaunes. Pourquoi a-t-il réussi là où tous les autres ont échoués dès le début du quinquennat Macron (manifestation pour les services publics, mouvements syndicaux contre la réforme du code du travail, mouvement des cheminots contre la réforme du statut…) ? Plusieurs raisons à cela ; tout d’abord en terme de calendrier, le choix du samedi est le plus judicieux car il permet à un maximum d’actifs de se mobiliser en limitant les conséquences sur leur activité professionnel, la mobilisation est donc possible au long court comme nous pouvons encore le voir aujourd’hui (bien sûr ce n’est vrai pour un certains nombre de services publics et les commerçants des secteurs géographiques touchés ne seront sans doute pas de cet avis). Ensuite en terme d’organisation ou plutôt de désorganisation ; le caractère spontané non déclaré a clairement pris de court l’Etat. Il suffit de voir les cafouillages incessants en terme de maintien de l’ordre qui n’ont cessés d’émailler les manifestations : au contact/pas au contact, lieu autorisé/lieu interdit, force mobiles/forces fixes… les premières manifestations sur les champs Elysées ont été dans ce sens spectaculaires. Rappelons tout de même qu’au plus fort de la mobilisation le président avait affrété un hélicoptère afin de pouvoir être exfiltré si nécessaire… nous ne sommes pas loin d’une version moderne de la fuite à Varennes… Enfin intervient la question de la « violence ». Le débat n’est toujours pas tranché à ce sujet entre partisans de la manifestation pacifique qui vise à impressionner par le nombre, et ceux plus radicaux prônant de la manifestation « sauvage » à l’origine de dégradations matérielles et d’affrontements plus ou moins volontaires avec les forces de l’ordre. Objectivement, il faut reconnaître qu’en France, malheureusement, le temps n’est plus à la manifestation regroupant des millions de personnes ; en effet l’individualisme galopant, le manque d’empathie, l’indifférence quant aux conditions de vie des plus précaires et l’incapacité à penser l’intérêt général pour une grande partie des français rendent impossible une mobilisation réellement massive. Cependant, bien que le nombre de manifestants n’ait pas été extraordinaire, les Gilets Jaunes ont bien eu un effet marquant, il était d’autant plus frappant de voir le président français battre sa coulpe le 10 décembre après être sans doute sorti difficilement d’un état de grande sidération. Il faut dire que les images de chaos en plein cœur de Paris ont dû le faire largement réfléchir. On peut d’ailleurs se demander si nous n’avons pas assisté là à une erreur stratégique majeure de la part du gouvernement. Pour discréditer ce mouvement il est de plus en plus clair que la hiérarchie policière s’est bien gardée de faire interpeler en amont des manifestations les éléments les plus « perturbateurs » comme l’explique Linda Kebbab sur le plateau de canal plus dans l’émission l’info du vrai le 2 octobre 2019[1]. Les pouvoirs publics espéraient-ils dégoûter un grand nombre de manifestants modérés et dans le même temps retourner une opinion publique pleine de bons sentiments ? La question demeure sans réponse mais on a pu voir le résultat avec l’apogée de l’Arc de triomphe… Il est d’ailleurs particulièrement intéressant de remarquer que nos chers éditorialistes des grandes chaînes d’information nationales deviennent tout de suite moins loquaces et véhéments lorsque les débordements ont lieu dans les manifestations au Venezuela, en Algérie, à Hong Kong, au Chili, à Barcelone ou au Liban…
Il suffit alors de connecter les revendications sociales et même environnementales avec les constats faits à propos des dernières manifestations évoquées et une seule conclusion s’impose. Le personnel de santé, les enseignants, les agriculteurs, les policiers (quand ils se seront rendus compte qu’ils sont les instruments d’un gouvernement qui les méprise), les écologistes… devraient tous s’organiser pour se réunir le samedi sur Paris si possible (centre du pouvoir) ou dans les grandes villes de leurs régions respectives. Il ne s’agit pas de reprendre à leur compte toutes les revendications des Gilets Jaunes mais d’amener les leurs dans le même espace temps (même ville au même moment). Bien sur il ne s’agit pas non plus d’être dans l’illégalité en ne déclarant pas les manifestations, au contraire, il serait même possible de prendre le gouvernement à son propre jeu en les déclarant dans un maximum de rue d’une même agglomération ; une saturation de toutes les artères de la ville serait alors possible naturellement en cas de grande affluence. Nous pourrions même espérer dans ces circonstances un rapprochement entre les différents acteurs qui pourraient y voir l’occasion de mener une lutte commune. Une bonne manière de réhabiliter dans l’opinion publique les Gilets Jaunes largement discrédités, à tort, par la majorité des médias traditionnels depuis des mois. Si le point de départ du mouvement a bien été la hausse de la taxe sur les carburants, malgré l’aveuglement médiatique, les revendications ont très vite évoluées vers l’exigence d’une société plus juste et d’un renouvellement des pratiques démocratiques (RIC). Loin de l’image d’individus uniquement attachés à leur pouvoir d’achat, peut-être deviendra-t-il évident pour tous qu’ils sont attachés aux services publiques et qu’ils remettent en cause, pour beaucoup, le capitalisme débridé que l’on tente de nous imposer.
Si la situation là-bas est différente, l’exemple du Chili me paraît inspirant : une mobilisation populaire inédite dont le point de départ est la hausse du prix du ticket de métro qui a réussi à faire plier un gouvernement en quelque jour. Après des décennies de néolibéralisme, le président a demandé la démission de tout son gouvernement et promis un virage social sans précédent.
Il serait bon qu’en France nous fassions en sorte que le virage néolibéral macronien ne se transforme pas en sortie de route pour nous tous. Si le modèle social français est attaqué depuis plusieurs décennies, le gouvernement actuel essaie bien de l’achever. Il est nécessaire de défendre ce modèle plus que jamais et d’obliger le bourreau à rendre les armes.
P.M.
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