mardi 1 janvier 2019

Le mythe du maintien de l’ordre public qui s’effondre avec les manifestations des gilets jaunes, un pouvoir à la dérive et un énième plan de communication comme seul gilet de sauvetage. Comment empêcher le naufrage ?

     Pour qui a pu observer ou participer aux différents actes des manifestations de Gilets Jaunes, il est une évidence : le maintien de l’ordre public n’est qu’une légende urbaine, une histoire qui repose sur le simple consentement et le conditionnement des citoyens français. Dans nos sociétés occidentales qui se considèrent comme avancées, si, par une augmentation déraisonnée et institutionnalisée des injustices sociales, ce conditionnement n’apparait plus comme tolérable ni efficient, l’effet direct est la disparition du consentement généralisé ce qui peut faire voler en éclat l’idée d’ordre public inaltérable. Ceci a maintes fois été théorisé et semble intellectuellement acceptable. En effet, s’il on s’en tient au strict rapport de nombre entre plusieurs milliers de membres des forces de l’ordre (policiers et gendarmes) et des millions de français abusés par des gouvernants méprisants ne se souciant guère de l’intérêt général, le déséquilibre est flagrant. Ajoutons à cela des conditions de travail exécrables au sein de la police : pression de la hiérarchie, heures supplémentaires non payées, matériel dépassé, effectifs qui n’augmentent pas au rythme nécessaire… Pour ceux qui ne verraient dans ces doléances que les exigences démesurées de fonctionnaires fainéants, et bien, le choc de la réalité doit être bien rude avec les suicides parmi ces corps de métiers qui se font de plus en plus fréquents (exemples particulièrement frappants avec la fondatrice du mouvement des Policiers en colère et le garde national de Matignon). Tout cela atteste bien d’une implosion imminente, même si la revalorisation des salaires d’une centaine d’euros et la promesse du paiement des heures supplémentaires permettront de gagner un peu de temps. Dès lors, comment croire même à la possibilité d’une action efficace et durable face au nombre grandissant des contestations ?
     
     Je me propose ici de rapporter quelques scènes auxquelles il était possible d’assister lors des derniers rassemblements à Paris.
     Le 17 novembre, acte 1 sur les Champs Elysées, une brigade chargée de descendre toute l’avenue pour évacuer les manifestants et constituée de quelques fourgons alignées entourées de CRS faisant front. Le mouvement part de l’arc de triomphe et au moment du déclenchement de la manœuvre, se regroupe devant le cortège un grand nombre de manifestants qui s’appliquent à monter des barricades de fortune que les hommes en bleus essaient de déblayer au fur et à mesure. Ils perdent donc beaucoup de temps alors que se masse derrière eux une quantité impressionnante de gilets jaunes sur des deux roues et qui avancent  vers les CRS au bruit des moteurs et des crissements de pneus. La situation étant totalement bloquée (heureusement aucun geste n’a mené à une explosion de violence), au bout de quelques minutes, les motards ont tout simplement contourné le cortège en passant sur les trottoirs toujours ouverts au public… aucune intervention policière possible, aucune interpellation possible, aucun renfort présent… une mise en faillite totale et directe de l’opération policière, ces fonctionnaires étaient tout simplement en train de se protéger, rien de plus. Le plus étonnant étant la présence sur place de touristes étrangers totalement « hallucinés » prenant des photos et se promenant à seulement quelques mètres, voir centimètres des acteurs, sur la plus belle avenue du monde, sans qu’à aucun moment leur sécurité ne puisse être garantie…
     Ce même jour aux abords de l’arc de triomphe, un motard, le genou à terre essuyant ses yeux après avoir souffert une aspersion de gaz lacrymogène. Une voiture de police s’arrête à sa hauteur ; aux alentours, nombre de manifestants et curieux s’approchent ; un policier sort et demande fermement aux observateurs de s’écarter ce qui n’a aucun effet. Leur véhicule est isolé pendant que les autres agents tentent tant bien que mal de faire la chasse aux motards qui vont et viennent autour du monument. Un policier qui semble sentir le vent tourner commence à calmer le jeu et explique qu’ils ont appelé les pompiers et que le blessé va être pris en charge. On peut noter une certaine incongruité à parler de prise en charge juste après que des collègues aient entrainés les maux… Une accompagnatrice de l’homme tentant de se mouiller le visage s’adresse alors au policier en montrant une certaine méfiance : « Là c’est bon, mais maintenant vous partez ! ». Toujours plus de monde présent, pas de renfort à signaler, la réponse ne se fait pas attendre, petit rappel à l’ordre à demi mots, retour à la voiture et départ immédiat… Il est extraordinaire (au sens littéral du terme) de voir en action la pression du nombre sans intention belliqueuse, sans qu’un geste inopportun ne soit fait, sans qu’une parole malvenue ne soit proférée, de voir la prise de conscience de l’impuissance des garants de l’ordre public. C’est tout simplement une page du récit national duquel nous sommes abreuvés depuis l’enfance qui s’est déchirée sous les yeux des présents. Ces faits qui peuvent sembler anecdotiques concrétisent pour moi les réflexions concernant la désobéissance civile de penseurs tels que Rousseau, La Boétie, Thoreau ou Tolstoï. 
     Le 24 novembre, acte 2, passage sur les Champs Elysées ; au bas de l’avenue à une trentaine de mètre d’une zone d’affrontements, dans une rue perpendiculaire apparaît un fourgon de gendarmerie mobile. Voyant avancer les gendarmes vers l’avenue et craignant de se faire encercler par toute une brigade, plusieurs manifestants décident de quitter les lieux en passant de part et d’autres, en sens inverse du véhicule qui pourtant avance toujours… quelques individus empoignent des barrières métalliques et bloquent alors le passage, le véhicule s’immobilise… l’information s’étant répandue comme une trainée de poudre, une marée humaine essaie alors de fuir les gendarmes ; un manifestant plus nerveux que les autres lance une bouteille vers eux puis une pluie de projectiles s’abat sur le fourgon qui s’apprête à être lui-même encerclé… démarrage éclair, marche arrière sur toute la longueur de la rue. Ils sont repartis comme ils sont venus, et même plus vite… aucun renfort, des rues entières laissées à l’abandon, les jeunes casseurs pouvant œuvrer en toute impunité pendant de longues minutes et même plusieurs heures. 
     Le 1er décembre, acte 3, les champs Elysée et les abords de la concorde « bunkerisés », plus de 3000 forces de l’ordre et une débandade totale dans les rues adjacentes. Scènes surréalistes sur l’avenue de la grande armée avec une série de barricades érigées en travers de cette avenue alors condamnée sans l’assentiment du gouvernement. Plusieurs feux déclarés et plusieurs commerçants remballant leurs stands avec l’aide de plusieurs gilets jaunes présents. Une nouvelle fois, aucune intervention policière pendant de nombreuses heures, seuls les pompiers intervenaient assez régulièrement, pour le reste les riverains complètement abandonnés, heureusement que la grande majorité des manifestants n’étaient en aucun cas des pilleurs. 
     Il serait possible de reprendre ce type d’exemples pour tous les actes suivant et à venir. Avant de revenir sur la montée des violences, intéressons nous aux réponses du gouvernement : tout d’abord une quantité accrue de policiers à chaque événement (c’est de bonne guerre pourrait-on dire) mais pas de mesures concrètes et efficaces pour lutter contre l’injustice sociale. Le 27 novembre, Macron annonce une fiscalité des carburants adaptée aux fluctuations des prix,  et une grande concertation de terrain sur la transition écologique, dans les trois mois, pour répondre à la fronde des gilets jaunes. Affligeant… déjà incapable de comprendre que la colère dépasse largement le cadre de la simple taxe sur le carburant, il persiste : « la stratégie du gouvernement est la bonne. » et en plus « sort de son chapeau » une concertation. N’est ce pas suite à de très constructives concertations qu’il a tout simplement snobé tous les syndicats lors du passage de la loi travail et de la réforme  de la SNCF ? Il ne prend donc même pas la peine de modifier le « coup d’esbrouffe » et l’étend même à grande échelle au risque de pousser à bout tous les français mécontents (de plus en plus nombreux). Le mardi 4 décembre Philippe annonce alors un « moratoire » sur les taxes sur le carburant intervenant au 1erjanvier 2019, il persiste et signe le lendemain à l’assemblée avant d’être déjugé le soir même par l’Elysée qui confirme une annulation pure et simple. Est-ce une blague ? De l’incompétence pure et simple ? Une tentative d’alimenter la révolte populaire ? Mais ils iront encore plus loin…  L’Etat semble donc bien jouer la stratégie du pourrissement en espérant un essoufflement du mouvement et un retournement de l’opinion ; la seconde intervention présidentielle n’a lieu que le lundi 10 décembre après un nouveau week-end plus que mouvementé… Le salariés au niveau du SMIC percevront une hausse de 100 euros « sans qu’il en coûte un euro de plus à l’employeur »,  les retraités touchant moins de 2000 euros seront exemptés de la hausse de la CSG, des heures supplémentaires versées sans impôts ni charges dès 2019, une prime de fin d’année qui sera défiscalisée et sans charge sociale pour les entreprises qui le peuvent. Mais que cherchent-ils ? Bricolage financier pour la hausse du SMIC (revalorisation du SMIC qui était déjà prévue, baisse des charges pour les entreprises et revalorisation de la prime d’activité qui était aussi déjà prévue est seulement accélérée) ou encore nouvelle version du « travailler plus pour gagner plus » du champion social Sarkozy avec la défiscalisation des heures supplémentaires… et cette manie d’amputer dès que possible les charges sociales et donc de dépouiller la sécurité sociale ! Toujours rien en terme de répartition des la contribution fiscale des entreprises. Comment justifier la protection obsessionnelle des grandes entreprises : rien sur le rétablissement de l’ISF, rien pour la lutte contre les exils fiscaux et la taxation des grands groupes les plus polluants comme Total, rien pour la modification du CICE. Comment s’étonner que beaucoup réclament la démission ou la destitution du président ? 

     Revenons sur la question des violences. Est-il judicieux de mettre dos à dos la violence sociale, le mépris avéré du gouvernement envers une majorité des français et la violence directe (parfois physique) exprimé contre les représentant de l’Etat et contre les bâtiments publics lors des manifestations ? Je le pense, les réactions même du gouvernement permettent d’expliquer toutes ces actions ; il a tout de même attendu de voir ses forces de l’ordre complètement débordées, des dégradations importantes, des accidents multiples et une opinion publique qui ne faiblit pas à l’égard de ce mouvement de contestation pour daigner donner un début de réponse ; mais toujours à base de stratégies budgétaires et de contributions futures toujours payées par les mêmes. La stratégie de communication gouvernementale semble aussi destinée à échauffer au maximum les esprits les plus calmes. A chaque acte une nouvelle tentative de discréditer le mouvement avec la complicité de nombre de médias, d’éditorialistes et d’intellectuels « mainstream » mettant l’accent sur certains épiphénomènes effectivement présents mais tout à fait minoritaires. Entre Castaner, Griveaux et Darmanin, pour ne citer qu’eux, on a eu toutes les insultes possibles et imaginables et souvent sans discernement : l’extrême droite et « la peste brune » pour le premier acte, des casseurs décervelés pour le deuxième acte, une ingérence russe et même américaine (confer les fakenews gouvernementales) après le troisième acte et depuis nous avons le choix : homophobes, racistes, antisémites… Mais bien sûr chers gilets jaunes, on vous insulte, on vous raille, on fait mine de vous écouter et on ne donne aucune réponse valable, on accroit la présence policière et la répression… mais surtout gardez votre calme ! La technique du pompier pyromane dans toute sa splendeur ! D’ailleurs, il faudrait ajouter que ce n’est pas uniquement la crainte des violences qui met le gouvernement dos au mur ; c’est aussi la désorganisation du mouvement, le fait qu’il n’y ait pas de mot d’ordre clair et net, qu’il y ait un multiplicité des initiatives, une lecture et une anticipation  impossibles par le pouvoir en place. C’est bien l’association de cette violence et de cette désorganisation qui rend le mouvement si efficace pour faire vaciller les dirigeants. Il semblerait donc malvenu pour ce mouvement de s’organiser à la manière des partis et autre mouvements politiques traditionnels. Il est d’ailleurs très étonnant de voir tout un panel de défenseurs du système en place appelant à bien déclarer les lieux de rassemblement (on voit bien comment le gouvernement a traité les derniers mouvements sociaux en raillant la faiblesse toute relative des mobilisations), ou encore la demande faite de s’organiser en un mouvement structuré avec des représentants identifiés (alors que toutes les oppositions sont pieds et poings liés par le gouvernement et sa majorité depuis le premier jour du quinquennat Macron) ; ou pour finir une requête pour l’arrêt des mobilisations afin d’entamer un dialogue « constructif » (alors que depuis le 14 mai 2017, aucune concertation n’a jamais permis une quelconque inflexion notable des décisions gouvernementales, cela a juste servi de caution à une posture d’écoute et de compréhension s’avérant finalement totalement stérile).  
Après avoir donné tout de même la parole à de nombreux gilets jaunes, les commentateurs divers mettent volontiers l’accent sur l’idée de multiplicité des demandes, qui serait un gage d’incohérence voir de contradiction… Et pourtant, comprendre les requêtes me semble d’une facilité déconcertante ; deux choses essentielles : le RIC (Référendum d’Initiative Citoyenne) permettant au peuple de reprendre la parole, l’initiative et la lutte contre l’injustice sociale et fiscale, en d’autre terme : arrêter de privilégier les entreprises par rapport aux citoyens français dans leur majorité. Augmentation réelle du SMIC, indexation des salaires des fonctionnaires et des retraites sur le niveau d’inflation, moyens donnés aux services publics et surtout au système de santé, moyens pour l’accueil de nos personnes âgés, pour la prise en compte des personnes en situation de handicap… Certains pourraient crier au non sens économique, à l’explosion de la dette, à l’irresponsabilité totale… Et bien non, il suffit de récupérer des capacités de financement grâce à la remise en place de l’ISF, de la Flat Tax, une refonte du CICE centré sur les PME qui elles ont réellement besoin des ces aides pour ne pas être prises à la gorge, une lutte réelle contre l’évasion fiscale. Et comme la prise en compte du facteur écologique est indispensable à notre survie à tous, profitons en pour taxer les grands groupes les plus polluants pour alimenter un fond de transition écologique. 
     Mais pour ce gouvernement un tel changement de cap est tout simplement inconcevable, ces considérations sont incompatibles avec leur logique purement capitaliste. Cette forme de déni est effrayant, comme s’ils n’arrivaient pas à concevoir que nous nous trouvions à la croisée des chemins, dans un moment d’inflexion générale ou il faut être capable de revoir ses certitudes, d’accepter que le système auquel on croit depuis toujours est arrivé en bout de course, que la seule irresponsabilité est de vouloir continuer à s’y enfermer.   
 Si le président n’accède à aucune des demandes énoncés dans les plus brefs délais il ne me semble pas du tout inapproprié d’en appeler à la démission ou à la destitution. Cependant, pour en arriver à ce dernier point, et à la lumière des révélations qui se succèdent; Macron semble n’avoir besoin de personne, son exercice du pouvoir révèle un tel degré d’amateurisme que la solution ne fera bientôt plus de doute, justement, pour personne.  

P.M.

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