Comment
expliquer qu’une mobilisation sociale généralisée ne soit pas encore
d’actualité ? Saluons ces îlots de résistance qui fleurissent tout de
même : grève des gardiens de prison, manifestations du personnel hospitalier,
mobilisation imminente des enseignants, associations dénonçant le traitement
inhumain des exilés, contestation de la mise en place de Parcoursup, remède bien pire que le mal, groupes de salariés qui tentent de se faire entendre dans
le privé…
Certains citoyens risquent de perdre patience sous peu, surtout parmi ceux qui connaissent une détérioration « en
marche » rapide de leur qualité de vie (conditions de travail anxiogènes,
taxes diverses et maquillage de la baisse du pouvoir d’achat, prévisions
arrangées de certains ministres, « serrage de ceinture » immédiat
avec contreparties positives seulement hypothétiques dans plusieurs années…) et un drame ne pourra pas longtemps être évité. Nous sommes proches d’atteindre le
point de non retour, de rupture totale entre l’Etat et les citoyens français.
Je pense que tout le monde a compris que les dirigeants souhaitaient un
désengagement majeur, pour des questions de budget, dans la plupart des
secteurs relatifs au bien-être et à la sécurité de leurs concitoyens. L’Etat français nerisque-t-il pas d'être reconnu coupable de négligence et même
de non assistance à personne en danger? Je ne comprends pas pourquoi aucun opposant
« sérieux » au gouvernement ne fait un appel franc à une mobilisation
nationale au moment où la sauvegarde de notre système de santé, pierre
angulaire du système social français, est dramatiquement menacée. Ont-ils été
échaudés par la réponse timide des citoyens au moment des premières sollicitations
pour lutter contre l’instauration de la loi travail ? Ne craignent-ils pas plutôt
d’être tenus responsables de l’explosion sociale qui s’annonce ? Ils
devraient tout de même prendre garde car
à l’heure des comptes, dans un climat que je considérerais comme déraisonné, le
discernement ne sera sans doute plus de mise et s’ils ne se mettent pas en
action maintenant le souffle risque de les atteindre malgré toutes leurs bonnes
intentions.
Je suis non violent mais n’accepterai jamais
de tendre l’autre joue; je me suis rendu à plusieurs rassemblements en septembre 2017
et j’ai bien vu le mouvement se désagréger au fil des semaines, quelle
frustration ! C’était pourtant une belle occasion de faire reculer Jupiter
et ses sous-fifres. Je ne compte plus le nombre de fois où j’ai entendu, lorsque je
tentais de convaincre du bien-fondé de ce genre de manifestation, les réponses
affligeantes comme : « de toute façon ça ne sert à rien… »,
« mais c’est impossible… », « tu vas te retrouver tout
seul… », « les gens sont des moutons, ils n’iront jamais, je ne vais
pas me déplacer pour rien… » ; quelle consternation pour moi ! Mes
interlocuteurs étaient souvent des individus dans la force de l’âge, sans
problèmes économiques majeurs, et souvent sans responsabilités familiales… ce
fatalisme généralisé a le don de me faire enrager ; beaucoup font mine de
s’émouvoir pour la forme puis retournent à leurs petites affaires. Pourtant,
plus de 2 millions de personnes dans la rue et nous aurions pu observer nos
gouvernants « en marche arrière ». Je n’ai jamais été un activiste
acharné mais cette période est plus qu’inquiétante, l’heure est grave, il y a
urgence, nous subissons bien une attaque en règle du modèle sociétal
français, et le volet social sera bientôt condamné. Je n’ai jamais été militant d’un quelconque parti et ne le serai sans doute jamais car je ne tiens
pas à être responsable d’autre chose que de mes propres idées et de mes
convictions personnelles ; cependant je suis prêt à répondre à l’appel
pacifique mais déterminé de n’importe quel syndicat, parti, mouvement politique
ou citoyen si la lutte me semble légitime, nécessaire et à l'échelle nationale. Honte
aux querelles politiciennes égotistes et stériles qui tétanisent beaucoup de militants !
Je
fais partie de ce groupe de citoyens proscrits qui a choisi de voter
blanc au deuxième tour de l'élection présidentielle. Cela m’a valu d’être couvert d’opprobre, comme tous ceux qui ont
fait le même choix, par la grande majorité des médias traditionnels pendant
l’entre-deux tour. Comment choisir
entre d’un côté, incompétence,
obscurantisme et xénophobie et de l’autre « macro-libéralisme »
décomplexé (ou « libéralisme mensonger »), double discours et mépris
de classe … c’est naviguer de Charybde en Sylla. Macron aura au moins servi de
révélateur en faisant appel aux désirs les plus bas de tous ses collègues les
plus opportunistes et spécialistes du « retournement de
veste » : Pour qui le plus de reconnaissance ? Pour qui le pouvoir le plus grand ? Qui
prépare la « reconversion » la plus attractive dans le privé ?
Un nombre impressionnant de députés « translucides » devenus
« brillants » à la faveur du coup de baguette macronien. Cela ressemble à un concours entre ceux qui
ont le moins de scrupules, qui renient
le plus facilement leurs principes et oublient le plus aisément leurs
engagements passés. Le coup de balai promis ressemble plus à un ballet de
petits rats d’opérette. D’ailleurs, pour ceux qui n’auraient pas encore assez
de motifs d’indignation, j’invite vivement à lire les ouvrages de Daniel
Pascot, Pilleurs d’Etat Tomes 1 et 2,
ainsi que l’enquête de Vincent Jauvert publiée en janvier 2018, Les intouchables d’Etat. Dans les deux
premiers sont évoqués tous les abus légaux perpétrés en toute impunité par une
partie de nos élus ; le dernier dresse un tableau peu reluisant d’une
partie de la haute fonction
publique (cadres de Bercy, conseillers
d’Etat, inspecteurs des finances…) entre pantouflage à la limite de la légalité
et conflits d’intérêt potentiels… En prenant connaissance de ces informations, si
quelqu’un n’est pas révolté du moins intellectuellement contre la caste de
nos dirigeants, il mérite bien son sort d’esclave moderne.
Ces derniers mois, nous pouvons entendre
quotidiennement les plaintes de français ayant voté « utile »
(expression qui me fait aussi enrager) qui se sentent trahis par ce gouvernement
fantoche. Mais ceux qui me surprennent le plus sont les citoyens qui ne
s’étaient pas laissés leurrer par la publicité mensongère macroniste : les
abstentionnistes, ceux qui ont voté blanc ou nul (environ 16 millions de
personnes). Où se cachent-ils ? Pourquoi ne se manifestent-ils pas en
masse ? J’ai cru un temps que les abstentionnistes étaient les vrais
contestataires, j’ai longtemps hésité à me joindre à eux, pensant avoir
identifié un groupe d’individus excédés, à raison, par le fait qu’on leur
dérobe la parole, qu’on ne les écoute pas et qui réagissaient par une forme de
désobéissance civile réfléchie. Il semblerait en fait qu’ils n’aient juste rien
à dire, qu’ils n’en aient rien à faire… peut-être sont-ils résignés, prêts à
courber l’échine pour essuyer pendant 5 ans une belle volée de bois vert. Que l’on
ne fasse confiance à aucun politicien, je l’entends parfaitement, mais nous ne
devons pas pour autant nous laisser marcher dessus par les arrivistes actuels. Allons
nous continuer longtemps à nous regarder en chien de faïence en espérant que
quelqu’un d’autre fera le nécessaire pour nous ? Il est toujours plus
simple d’accuser les autres pour s’excuser soi-même de n’avoir rien fait. Si montée de violence il y a, comme beaucoup
le pressentent, nous en serons tous responsables, nous pourrons toujours
détourner les yeux, nous offusquer, condamner… mais c’est notre inertie
actuelle qui est la plus dangereuse. Pourtant, nombre d’esprits clairvoyants
ont tenté de mettre en garde, de tous temps, contre ces formes de
« servitude volontaire », d’ « impuissance apprise » et de « conditionnement à la soumission » qui sclérosent les sociétés
humaines : Platon, La République
(vers 387 av JC) ; Etienne de La Boétie, Discours de le servitude volontaire (1548) ; Jean-Jacques
Rousseau, Discours sur l’origine et les
fondements de l’inégalité parmi les hommes (1754 ) ; Henry-David Thoreau,
La désobéissance civile (1849) ;
Michel Bakounine, Théorie générale de la
Révolution (textes écrits principalement entre 1867 et 1873 et assemblés par
Etienne Lesourd) ; Jean Giono, Refus
d’obéissance (1937), Stéphane Hessel, Indignez-vous
(2010) ; Noam Chomsky, Requiem pour le rêve américain (2017), …
pour ne citer qu’eux. Les théoriciens de renom ne manquent pas et pourtant, la
faillite des peuples se répète. Comment expliquer que des individus bien
portant qui sentent le sol se dérober sous leurs pieds ne fassent rien pour
éviter la chute ? Il est aisé de toujours condamner les dérives, à
distance, du haut des miradors, mais rappelons nous que les plus haut perchés sont victimes des chutes les plus brutales. Il ne faut pas espérer se soustraire au
marasme ambiant en prenant ses distances, ce n’est qu’une question de temps
pour que les membres de la classe moyenne qui croient encore pouvoir surnager
ne se retrouvent en apnée. L’asphyxie guette tous ceux qui ne souhaitent pas se
lancer à corps perdu dans l’aventure macronienne. Ce joueur de flûte de Hamelin
nous mène à notre perte pourtant je ne
pense pas que les citoyens français soient des rongeurs et la majorité d’entre
nous a dépassé le stade de l’enfance. Ce président factice a-t-il déjà réussi à
annihiler toute idée de solidarité dans cette nouvelle France qui, à force de
libéralisme en devient égoïste ?
Un début d’explication à l’inertie
ambiante pourrait être l’importance prise par les réseaux sociaux et la
prégnance du numérique. Ces fléaux de notre temps permettent à tous les
« énervés de la souris », aux « révolutionnaires du virtuel »
de déverser leur fiel sans frein avant de regagner leur vie réelle, tous
enchainés au boulet de la résignation. Je doute que la majorité de mes
concitoyens soient des « hackers » virtuoses, seules personnes qui
peuvent avoir une réelle influence en restant derrière leurs écrans. Pour les
autres qui subissent cette nouvelle ère du tout numérique et des réseaux sociaux
au lieu d’en chercher les failles, il serait temps de prendre un peu
l’air ! La réalité n’est pas que virtuelle, elle s'assombrit tous les jours un peu plus : s’aérer l’esprit ne sera bientôt plus possible si
l’oxygène des nouvelles villes connectées qui nous déconnectent vient à
manquer. A défaut de ne pas encore faire tomber tous les murs de ces futures
prisons dorées, tâchons de rendre plus respirable le peu d’espace de vie qu’il
nous reste.
Il n’y a plus guère que quelques esprits
libres, syndicalistes révolutionnaires, militants d’extrême gauche (seuls
véritables militants de « gauche », les autres ne sont que des sympathisants de droite qui veulent se donner bonne conscience et s’étouffent en
tentant de justifier leurs contradictions) ainsi que des anarchistes pour se mobiliser
dans la rue par solidarité. Qu’attendent les autres ? D’être à
l’agonie ? Ces français qui acceptent d’être désignés comme des
« riens », des « fainéants », des « cyniques »,
dont on condamne les soi-disant « passions tristes » et autres
« névroses » sans qu’ils ne réagissent autrement que par des cris
d’orfraies sont peut-être seulement des grandes gueules adeptes des paroles en
l’air et des coups d’épée dans l’eau ; ils pensent avoir les pieds sur
terre mais il ne faut surtout pas compter sur eux pour le départ de feu.
Un petit mot aussi pour tous ces pseudo
insurgés qui chantent ou écrivent le désarroi de leurs pairs pour mieux profiter d’un système qu’ils
dénoncent. Je fais ici référence à un grand nombre de journalistes, chanteurs,
écrivains, politiciens et autres philosophes qui commentent la misère sociale
mais ne daignent pas battre le pavé lors des manifestations, ou encore cette
direction de la CFDT et de FO qui mendient les miettes du repas du prince pour
faire bonne figure. J’en soupçonne même certains de ne pas souhaiter
sincèrement l’éveil généralisé des consciences de peur de perdre leurs petits
privilèges (reconnaissance intellectuelle, professionnelle et/ou financière)
qui semblent les placer au dessus de la masse. Beaucoup jouent sur le sentiment
de compassion ou sur l’idée de bienveillance mais leurs paroles sans actions ne
sont que perte de temps.
Au cours d’une énième discussion j’ai
entendu cet argument étonnant : « Mais enfin, il n’y a personne
d’autre de plus valable pour diriger le pays ! ». J’enrage encore
plus, cette éternelle rengaine du « moins pire » qui nous conduit
toujours à choisir au rabais. Ce choix étant d'ailleurs toujours influencé par un
traitement médiatique plus que partial. Serait-ce une raison pour laisser les
coudées franches à ceux qui ont été les plus habiles pour gagner le pouvoir
sans jamais s’intéresser aux demandes de leurs propres concitoyens ?
N’est-il pas temps d’inventer collectivement, avec toutes les bonnes volontés
une réelle démocratie, un nouveau mode de gouvernance ? La question se
pose forcément mais dans tous les cas, la priorité est de mettre un coup
d’arrêt à l’entreprise de destruction sociale en marche. Bien sûr cela fait
naître beaucoup d’incertitude pour l’avenir ; bien sûr cela implique de
changer profondément nos schémas de
pensée et notre manière d’appréhender les relations sociales ; bien sûr
cela exige que les plus chanceux sortent de leur zone de confort… mais quel
combat juste ! Quel espoir pour les générations à venir !
P.M.
P.M.
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