Il s’agit d’une
fiction inspirée de faits irréels et imaginaires, toute ressemblance avec des
personnes ou des situations existantes ne saurait être que fortuite ou bien
inopinément déduite.
C’est l’histoire d’une élection pestilentielle en 2047 dans
un pays appelé « Fausse » ou « Fosse » ; les deux
orthographes sont autorisées, la deuxième forme appartient plutôt à une sorte
d’argot employé par les classes populaires les plus désoeuvrées.
Chose
des plus étonnantes, il s’agit d’une civilisation très évoluée mais aussi
cannibale. Les dernières recherches scientifiques ont prouvé que l’on pouvait
augmenter son espérance de vie en se nourrissant du sang des personnes les plus
stressées et vivant dans les conditions les plus difficiles. Il a donc été
décidé, en se basant sur des considérations démographiques calculées par les
algorithmes les plus récents et efficaces, que les citoyens les plus méritants
pouvaient consommer sans restriction les fluides vitaux de leurs sujets dans le
besoin, c’est à dire les personnes au chômage ou ayant un revenu inférieur à
6OO uros par mois. Les personnes âgées étant considérées comme peu ragoûtantes,
la denrée la plus recherchée est un jeune inactif dans la force de l’âge. Les
cités HLM (Hauts Lieux du Malheur) sont donc quadrillées très souvent par les
voitures dernier cri des membres de la classe « digérante » (personnes au sommet de la hiérarchie de
l’état ayant le droit de di-gestion).
Il existe deux manières d’atteindre le graal, cette place
au banquet des chefs gourmets. La première, prouver par des tests logiques très
complexes un « Cuit » supérieur à 200, c’est la garantie d’avoir les
capacités nécessaires à guider la majorité des nécessiteux du petit peuple.
L’expression « Cuit » vise à caractériser ces cerveaux qui « flambent »
d’une intelligence supérieure, cependant elle est détournée par certains
citoyens dotés d’un humour assez douteux qui ont démocratisé l’idée d’une classe
aisée formée d’une bande de « cramés du bulbe ».
La seconde, un parcours semé d’embouches dans la plus
grande et plus prestigieuse école du pays : l’ANAL (Anaphores, Non-sens et
Absolution pour Logorrhéiques). Le symbole de cette magnifique institution est
une belle laitue bien fournie, non pas parce que ses membres vouent une
admiration sans borne à la terre et ses cultures mais simplement parce qu’ils y
apprennent, littéralement, à raconter des salades. L’épreuve la plus difficile,
à laquelle est affectée le coefficient le plus important est le jeu du « menteur ».
La légende de l’école et spécialiste en
la matière, un certain Franssais Halamende, actuel Pestilentiel de la Fausse,
était capable de perdre lamentablement et faire croire à son adversaire qu’il
était finalement le grand vainqueur. Impossible direz –vous ? Il faut
simplement le voir en action à la tête du Fatras National.
Penchons-nous
d’ailleurs sur une réunion très importante, six mois avant cette fameuse élection
pestilentielle.
Le gratin de la nation, 600 des 75 millions d’habitants,
presque tous passés par l’ANAL, s’apprête à digérer le sort de tout le pays. Bien
sûr, ils se connaissent tous très bien et dînent régulièrement ensemble ;
ils sont capables de se cracher des insanités immondes au visage lors de
retransmissions télévisuelles publiques avant de s’appliquer amicalement en
coulisse une tape sur l’épaule ou le fessier.
Seul
le Pestilentiel est appelé par son nom, les autres membres du gouvernement sont
affublés de surnoms évoquant soit leur fonction soit une de leurs qualités,
rarement personnelles mais plutôt professionnelles. On peut citer, de manière
non exhaustive un certains nombre d’intervenants : la Famille, la Patrie,
le Travail, la Malice, la Violence, la Police, la Pensée, le Sens, l’Absence,
la Sincérité, l’Idiotie…
Le Pestilentiel Franssais Halamende débute toujours par
quelques réflexions bien senties à l’égard de ses collègues et faux amis.
« Et
bien le Travail ! Tu m’as l’air bien amaigri et fatigué ; tu devrais
partir un peu, il n’y a pas une petite délocalisation de prévue ? Cela
augmenterait un peu notre garde-manger.
Tout l’auditoire s’esclaffe.
- Fais
attention, si ça continue tu n’auras plus d’emploi et tu finiras aussi en
HLM !
Certains s’étouffent de rire.
- Et
la Probité, et l’Honneur ? Ceux-là traînent toujours ensemble, je ne les
vois pas. Quelqu’un peut m’expliquer ?
- Je
crois qu’ils ont eu un accident de
voiture, je n’en sais pas plus, répond la
Malice.
- Bon
tant mieux, moins on les voit mieux on se porte, on les remplacera peut-être
après l’élection si quelqu’un en parle, cela nous donnera des cartouches pour
calmer les nerveux.
- Avant
de commencer, je veux que la Peur s’approche. Toi, le Danger, tu vas au fond de
la salle, tu risques de nous embêter. Maintenant l’ordre du jour : la
désignation des candidats et la stratégie générale pour que tout cela semble
choisi par nos moutons. Comme je suis entouré d’une bande d’incapables, je vais
vous rappeler les règles du jeu. Là vraiment ça part dans tous les sens,
certains vont à droite, d’autres à gauche, c’est n’importe quoi, il faut se
recentrer, l’oseille avant tout ! Il y a plusieurs points sur lesquels les
programmes sont établis qui ont été distribués à chaque candidat en fonction de
leur rôle à jouer. Il faut que se soit simple pour que tous ces idiots
comprennent.
Premier
point : les électeurs ciblés, soit les gens de bien avec des moyens et des
conditions de vie correctes soit les perdus de la vie à qui il manque des dents
et de l’argent.
Deuxième
point : la continuité de l’alliance uropenienne, le mieux c’est de ne rien
changer pour continuer nos magouilles et les autres seront présentés comme des
irresponsables qui veulent tout foutre en l’air, pas de demi-mesure.
Troisième
point : la sécurité intérieure que l’on peut lier à la thématique de
l’accueil des étrangers, ça c’est clivant donc trois possibilités ; on
ferme la porte et on vire à coups de pompes, ça paraît un poil bourrin mais
c’est assez vendeur, ou bien on accueille de manière mesurée mais on améliore
le renseignement ce qui ne veut rien dire mais ça sonne bien, c’est rassurant,
ou enfin on ouvre grand les bras comme des cons de Faussais que nous sommes en
vertu du devoir d’entraide internationale et dans le respect de nos valeurs
humanistes et bla bla… et toutes ces conneries ; pour le dernier c’est le
suicide assuré.
Le
quatrième et dernier point : la politique étrangère, soit on ramène notre gueule
dans tous les conflits où on peut gratter de l’influence ou de l’oseille pour
aider les pays amis en rentrant dans la gueule de tout le monde sans
discuter ; c’est efficace jusqu’à maintenant surtout que nos collègues
sont bien vicieux et se débrouillent toujours pour s’en sortir après les
bavures, franchement respect ; soit on décide de discuter avec tout le
monde, même les pires enflures, mais après on est bloqué et on ne peut plus
vraiment piller impunément, pour moi c’est impensable.
Comme
prévu on a nos cinq candidats, je vais vous les présenter un par un, on a juste
un petit souci mais ça devrait tout de même être jouable. »
A ce moment, cinq
personnes s’approchent de son éminence pour être présentées.
« Tout d’abord l’Infâme Epouvantail : elle, ce
n’est pas la plus Maligne du lot, elle risque même de faire de La peine à ses
propres électeurs, c’est vous dire le degré de bêtise. Pas besoin de la présenter,
c’est une vraie vermine, un boulot bien fait de père en fille, qui nous a bien
servi par le passé. L’idée c’est de bien la placer pour mettre un bon coup de
pression à tout le monde et orienter la décision au dernier moment. Elle n’a le
droit de parler qu’aux individus vraiment en galère à qui personne d’autre ne
tend vraiment la main. Heureusement, il y en a pas mal et ils l’écouteront
malgré toutes les conneries qu’elle débite parce que ce sera une des seules à
faire quelque chose pour eux. Ses grandes lignes : j’aide le petit peuple
Fossais de souche et je vire les étrangers. Simple, efficace, il faut juste
qu’elle se contrôle avec les insultes et que ça ne devienne pas trop technique
sinon elle va péter en vol.
- Ensuite,
l’Arnaqueur Pourri : son crédo « les Faussais je leur mets dans le
Fion » lui, ça me fait marrer de le descendre parce qu’il a voulu nous
faire la morale et jouer le monsieur propre, bonne stratégie mais ça ne fera
pas long feu. Je te préviens d’ailleurs, je vais te charger comme une mule,
toutes tes petites combines pas bien différentes des nôtres je vais les dévoiler
et si tu mouftes je te fous au mitard. Et pas question de te défiler ou de
jeter l’éponge, j’ai besoin qu’on te haïsse, par contre il va falloir que tu
sois solide et que tu ne sortes pas sans protection sinon tu risques de te
faire dépecer vivant. Au pire ta famille prendra peut-être cher mais si ta
femme fait une déprime on te filera des médicaments ; il faut bien que ça
serve les contacts dans l’industrie pharmaceutique. Dans tous les cas je
t’appuie sur tous tes points de campagne, tu vas te prendre une taule
monumentale : tu as choisi de taper sur tout le monde et tu le dis, des
idées proches de l’Infâme pour les étrangers et la collaboration avec une bonne
partie des dictateurs en exercice. Rien à ajouter, tu tiens le bon bout.
- Au
tour de l’Âne Bâté : lui c’est un vrai Benêt, il ne réfléchit pas en Amont,
toujours à voir trop loin au point de perdre ses électeurs ; par exemple
le coup du « revenu pour la vaisselle », c’est top comme idée, on
s’en fout pour l’instant et beaucoup trouvent ça complétement nase, vas-y
insiste, ça sera ta marque de fabrique au point d’annuler le reste. J’ai bien
envie que tu te ramasses aussi parce que tu m’as bien cassé les bonbons la
dernière fois avec tes petits copains, tu m’as fait passer pour une buse. De
toute façon tu es mort d’avance parce que je t’ai collé l’étiquette de produit
avarié de mon parti, je peux te dire que tu vas ramer pour défendre mes actions
passées. Au moins, on se moque de tes propositions, tu peux t’adresser à qui tu
veux, avoir les meilleurs idées du monde, personne ne t’écoutera, tu pourras
faire quelque chose dans dix ou quinze ans mais d’ici là on t’aura mis au
placard. D’ailleurs si tu peux trouver un moyen de t’associer aux écolos, cela
nous arrangerait vraiment comme ça on évacue en même temps cette question
emmerdante, d’une pierre deux couilles.
- Maintenant
on a un petit problème avec celui-là : le Bizarre Insurgé. J’ai du mal
avec ses idées directrices de campagne, « J’encule le système, Mélangeons
les peuples ». D’ailleurs il m’a l’air un peu instable, si vous le
regardez dans les yeux il commence à gueuler, en plus il est sourd comme un pot
donc il peut avoir des réactions inattendues. J’ai appris qu’il ne se
nourrissait plus comme nous depuis plusieurs mois, c’est sûrement pour ça qu’il
a l’air aussi fatigué. Il essaie de parler à tout le monde, il a déjà commencé
à se mettre à dos notre chère Signéla Martèle qui est quand même un exemple de
réussite avec son beau pays d’Allémangez, la force vive et raisonnable de notre
belle Uropeine. En plus il a décidé de ne plus partir en guerre sans raison
valable, il veut vraiment qu’on aille tous dans le mur. Je pense sincèrement
qu’il est touché par une forme de démence sénile précoce. Je vous avais pourtant
dit : pas de candidats de plus de 60 balais ! L’avantage c’est que
personne ne voudra le suivre donc j’ai décidé de le laisser se ruiner tout
seul.
- Je
vous ai gardé le meilleur pour la fin ! Notre champion : le
Libérateur ! C’est du costaud, il connaît tous Les manuels de l’ANAL par
cœur et il est bien aiguillé, il a trouvé sa Matrone et adore les patrons, que
du bonheur ! J’ai l’impression de me voir plus jeune. Bon, c’est vrai que
j’ai un peu de mal avec ses sourires niais et sa voix qui part dans les aigus
quand il s’énerve mais au moins il a le même goût que moi pour les blagues sur
les pauvres : on peut tenir des heures ensemble à faire des bons mots sur
leurs dents, leur alphabétisation, leur alcoolisme… j’ai adoré d’ailleurs la
référence au costard. Par contre, il est jeune et fougueux donc il va falloir
qu’on le calme un peu dans ses ardeurs sinon il va lui arriver une tuile.
Inutile de vous dire qu’il a tout bon, il a même travaillé dans une grande
banque donc il est habitué à enfler les gens de belle manière ; il annonce
à tout le monde qu’il va favoriser les entreprises, il joue la sincérité comme
personne, il a déjà prêté allégeance à nos voisins pour signer un pacte de
précarité internationale, sur les questions délicates comme l’émigration il est
capable de dire tout et son contraire dans la même phrase, à l’international il
est clairement anti-Rustre et pro-Amortleschiens…
Je
vous le dis, champion toutes catégories ! Et notre stratégie est imparable
pour le mettre très vite à la première place dès le premier tour : le
« vote utile ».
Je
résume : on secoue l’Epouvantail un bon coup, à côté de ça on allume
L’Arnaqueur, on laisse l’Âne parler dans le vide, on espère que l’Insurgé ne
calanchera pas et on présente le Libérateur comme seule rempart possible au mal
absolu ! C’est pas beau ça mes troufions ? Les Fossais sont cons
comme des manches mais dès qu’ils ont dépassé le bac ils se prennent tous pour
des spécialistes en politique, on va flatter gentiment leur pseudo-bon-sens, on
donne l’impression de leur faire confiance alors qu’ils sont complètement à la
masse.
- Ah,
la masse populaire ah, ah, ah !
- Ta
gueule l’Humour ! Les blagues pourries c’est mon domaine, on est pas là
pour se marrer, pas pour l’instant.
- Je
continue. Il va falloir vous mettre au boulot : vous activez vos réseaux
de l’ANAL, vous graissez la pattes de vos contacts dans la presse, vous
caressez dans le sens du poils les ANALystes… (nom donné aux véritables spécialistes officiant sur les plus grandes
chaînes de télévision ; le plus souvent, ils vouent une admiration sans
bornes aux anciens étudiants de grandes écoles quand ils n’en sortent pas)
Il
va nous falloir l’aide de quelques uns de mes potes dont on ne sait pas trop
s’ils bossent comme chefs de grands groupes financiers partisans ou patrons de
presse intègres ; j’ai en tête par exemple Vachier Fiel et Sans-Sang
Honoré. Ah, et on peut aussi compter sur Levrai Jenfreins ! Lui, il a même
poussé le vice au point de diriger un journal du nom de notre candidat !
Allez les tocards, c’est parti ! »
Malgré ces
magnifiques prévisions, une réunion d’urgence est organisée à une semaine du
premier tour de l’élection pestilentielle.
« Putain ! Ça ne va vraiment pas ! Ils
pensent tous que mes calculs sont merdiques ! Ils me font tous passer pour
un idiot ! C’est quand même moi qui ai défoncé l’ANAL !
- S’ils
te prennent pour une truffe, il y a peut-être une raison… oh pardon !
- Toi
la Franchise, je te l’ai dit depuis notre première rencontre, je ne peux pas te
blairer. Allez, en taule !
Voilà
les soucis :
- L’Infâme
Épouvantail, tu ne peux pas la fermer deux secondes ? Le score est presque
fait et tu commences à enchaîner ta répartie de bourrine, tu veux dégoûter tout
le monde ou quoi ? Ne réponds pas connasse ! Retiens toi un peu, tu
te lâcheras plus tard, juste mets-la en sourdine jusqu’au vote.
- Toi
l’Arnaqueur Pourri, je ne peux pas vraiment te reprocher quoique ce soit, tu
prends bien des coups comme un punching-ball, d’ailleurs je ne pensais pas que
tu serais debout si longtemps. Par contre, tes électeurs, ils sont vraiment
touchés ! Tu pourrais être tueur en série et égorger quelqu’un en direct à
chaque meeting, ils voteraient pour toi. Putain, c’est incompréhensible !
Si ça continue il va falloir qu’on prenne des photos de toi en train d’honorer
un mouton ! Tiens-toi prêt à faire n’importe quoi, je te préviens.
- L’Âne
Bâté, toi tu tiens trop bien ton rôle, je t’ai vraiment pourri la vie mais
quand même il faut y mettre un peu du tien, on dirait que tu es prêt à te
foutre à la baille ! Fais-gaffe, je peux te faire disparaître, je ne vais
pas devoir annuler l’élection quand même !
- Il
faut dire que vous avez vraiment été mauvais toutes ces années…
- La
Sincérité, tu dégages, va retrouver tes collègues grandes gueules au
placard !
- Bon
reprenons avec le Bizarre Insurgé : une énigme complète. C’est le grand
n’importe quoi ! Des clones qui parlent à sa place, il monte sur un jet
ski… ce n’est plus une élection, c’est un cirque. Il n’a pas fait un AVC (Accès
de Volonté Chiante) ? Qui sont les trous du cul qui votent pour lui ?
Des penseurs, des poètes ? Merde, c’est pas comme ça qu’on gagne de
l’argent, ils veulent tous être pauvres ou quoi !
- Et
toi le Libérateur, à part libérer ta connerie, tu n’as pas fait grand
chose ! Qu’est ce que c’est que ça de retourner ta veste sans cesse !
Et je tortille du cul, d’un côté de l’autre… on dirait moi, mais au moins
j’étais déjà Pestilentiel ! Et dire en plein discours que tu ne piges rien
à ce que tu racontes ! Tu es meilleur quand tu te fous de la gueule des
prolos !
Il
faut vraiment récupérer tout ça. J’appelle directement tous mes contacts, on
s’organise un petit forum des entreprises pour que tu ailles faire le
tapin ; l‘Epouvantail on lui coupe le micro lors des prochaines
interventions ; le Pourri, au pire on lui demandera de reconnaître en
direct qu’il bouffe des nourrissons ; l’Âne , je ne sais pas quoi te dire,
j’ai l’impression que tu es transparent ; et pour l’Insurgé, on te fait
passer pour un bolchévique et pour tes idées qui ne servent pas nos intérêts on
balance l’arme fatale : l’utopie ; ça ne fait pas bon ménage avec
calcul logique et économie raisonnable ! Allez, et on en rajoute,
« vote utile », « vote utile », « vote utile » !
Bonne nouvelle, le
soir du premier tour de l’élection : L’Âne
5%, l’Insurgé 23,60%, le Pourri 23,65%, l’Infâme 23,80% et le Libérateur
23,95%. Bien-sûr, on minimisa l’abstention et on se garda bien d’évoquer les
chiffres des votes blancs ou nuls, de peur de donner de mauvaises idées. La
route semblait donc dégagée jusqu’à la victoire du Libérateur ; cependant
c’était sans compter sur la bêtise humaine des uns et inhumaine des autres.
Rendez-vous fût pris par l’ensemble des digérants à exactement une semaine du
dernier scrutin.
« Bon là je commence à en avoir plein le cul, on a eu
chaud aux miches, merci aux bureaux de potes, regardez-moi, on dirait que je
vais me marier, je ne suis même plus en surpoids ! Qu’est ce que c’est que
ce bordel ! Raisonnez l’Insurgé ! Il ne veut rien faire comme tout le
monde, il ne veut pas donner de consignes de vote, c’est quoi le problème il a
perdu son dentier ? Et ses emmerdeurs d’électeurs qui sont aussi
ingérables que lui, c’est à ni rien comprendre ! Depuis quand les cerveaux
marchent à l’envers ? Ils vont vraiment nous foutre dans la mouise !
Le plan était pourtant bien calculé. Qui peut m’expliquer ?
La Droiture prend la parole :
- En
fait, on essaie de vous le dire mais il y a quand même de plus en plus de gens
dans le besoin, le programme du Libérateur ne cadre pas trop ; en plus
beaucoup de gens n’ont pas les même idées que vous concernant l’ Uropeine et la
politique étrangère sans pour autant être extrémistes.
- Qu’est
ce que tu racontes ? Depuis quand le peuple réfléchit ? On sait quand
même mieux qu’eux ce dont ils ont besoin !
- Vous
savez, certains concitoyens ne sont pas moins valables que vous, ils n’ont
juste pas les mêmes objectifs de société. Le principe de la démocratie était de
permettre au peuple de choisir son destin…
- La
ferme putain d’idéaliste, tu me saoules, tu l’ouvres encore une fois je te
vire. Mais on accepte n’importe qui chez nous !
Bon
on se reprend, l’Infâme Epouvantail, c’est ton moment, là tu peux tout lâcher,
il faut que tu la joues comme un clébard qui a la rage ! Demande des
conseils dans ta famille, je me souviens d’un ancien qui avait des problèmes de
vue, il était mauvais comme la peste et avait l’art de balancer des énormités
nauséabondes, il faut que tu t’en inspires. Le gros objectif c’est le débat
dans trois jours. Je ne sais pas, demande à un de tes collègues d’exécuter un étranger juste avant, trouve
quelque chose ! Je crois en toi, ne lâches rien il faut que tu horrifies
tout le monde !
Le
Libérateur, parfois j’ai l’impression que tu es complètement à l’ouest, quelle
idée d’aller faire un repas de galeux, ça ne tourne vraiment pas rond chez toi,
tu as eu de la chance qu’on ne t’ait pas vu te déhancher sur la danse des
connards ; et l’histoire d’inviter « les petites mains »,
pourquoi pas « les gros portefeuilles » pendant qu’on y est ! Soit
tu vas te faire ramasser par les cons-citoyens parce que tu tentes de faire
passer les choses sans mettre de gants… moi au moins je mentais comme un
arracheur de dents… pas mal cette vanne ! Soit nous allons devoir te faire
taire parce que tu te laisses aller. Parfois j’ai l’impression que tu veux
aller au casse-pipe, au moins tu es jeune, j’espère que tu cours vite.
Maintenant
pour ces ratés d’abstentionnistes, et ceux qui votent blanc ou nul, j’ai invité
Levrai Jenfreins pour lui remonter les bretelles.
Alors
toi, tu as beau être une pourriture hypocrite, tu n’en fais pas assez, il faut
que tu envoies du lourd, il faut que tu culpabilises vraiment ces
bourricots ! Tu parles de manque de morale, de traitrise, tu les
stigmatises encore plus que les électeurs de l’Infâme, ils méritent bien
ça ! Et tu nous fais même parler des philosophes, des écrivains, des
artistes… tous bien connus, bien en place ; eux ils vont foncer, ils
n’oseront pas retourner la gamelle dans laquelle ils bouffent même si
d’habitude ils jouent les grands rêveurs, allez bouge toi le cul !
La Pensée intervient alors.
- Vous
savez certains voient l’abstention et le vote blanc ou nul comme une forme de
résistance à votre pensée dominante.
- Ne
dis pas de foutaises ! Hé la Résistance là-bas en train de bouillir,
approche toi ! Je t ‘aime bien quand même, tu nous as bien aidé par
le passé quand on était vraiment dans la merde, mais là tu es con ! Ma
stratégie est imparable, tu vas passer pour un collabo aux yeux de la majorité
bien-pensante, ça serait quand même un comble. Regarde, même l’Ironie tire la
tronche, il n’y a que le Cynisme qui se bidonne ! Bon, je t’offre des
vacances, reviens-nous le lendemain de l’élection en pleine forme parce qu’après
tu vas trimer pendant quelques années ; le boulot sera plus léger mais ça
durera longtemps. Et là ! C’est quoi ces messes basses ?
- J’explique
juste à la Bêtise qui s’énerve que s’il y a eu finalement erreur de calcul et
que l’Infâme est élue c’est peut-être la Résistance qui fera le meilleur boulot
donc il ne faut pas lui filer perpète, répliqua
la Conscience.
- Je te réponds oui … mais non !
Déjà je ne fais pas d’erreur de calcul et au final c’est comme ça, point à la
ligne.
- C’est
aussi la ligne de Pensée, hé, hé !
- Ok,
la Plaisanterie, en vacances aussi, on va voir si tu peux aider la Résistance
en faisant des blagues.
Et
pour en revenir à toi Conscience, on se rappelle très bien de l’époque où les
deux barjots Lucifer et Praline avaient détruit celle de millions de gens en
tapant dessus comme des dingues, en les exécutant, les torturant… Là ce n’est
pas du tout la même chose, on ne demande pas d’abandonner sa conscience, on
demande juste de la mettre de côté le temps d’une élection.
- Mais…
- Non,
toi l’Individualité tu te tais, j’ai déjà tout décidé et l’Égoïsme est d’accord
avec moi.
On y
va on allume ! »
Heureusement, malgré
les accrocs et grâce à une campagne presque respectueuse, les abstentionnistes,
les votes blancs et nuls ne gâtèrent pas les espoirs de millions de gens. Le
Libérateur fût élu en grande pompe à 66% mais on ne communiqua jamais le reste
des statistiques.
On retrouve alors Franssais Halamende dans
sa voiture garde-manger le lendemain de l’élection, s’apprêtant à organiser son
petit-déjeuner. Grâce aux meilleures technologies cette machine est devenue son
meilleur interlocuteur et jamais jusqu’à maintenant elle n’avait contesté une
quelconque demande.
« Alors quels vils pouvons-nous choisir ?
Gare-Les-Gonades, Parcelles, Nonterre ou Sainte-Denise ?
- Désolé
je ne peux pas accéder à votre demande, depuis ce matin l’accès à ces
destinations est fortement déconseillé pour des raisons de sécurité.
- Etonnant
ça !
BAM,
BAM, BAM !
Désolé
… bzz… véhicule endommagé, immobilisé … bzz… présence belliqueuse … bzz … mauvais
calcul … bzz … bon courage.
BAM …
P.M.
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