Dans ce développement il n’y a aucune recherche d’exactitude scientifique mais plutôt une tentative d’établir des liens volontairement flous, permettant un vagabondage imaginatif, entre des notions plutôt générales que la logique pure, normalement, ne saurait rapprocher.
Si le génie se mesure au caractère intemporel de la pensée, l’un de ceux qui en possédait la marque la plus flagrante est bien Léonard de Vinci. Dans Léonard de Vinci, Tout l’œuvre peint aux éditions Taschen, Frank Zöllner nous explique, dans un commentaire de la Vierge aux rochers, qu’un détail « semble illustrer la conception du corps de la terre, c’est à dire de la terre comme un être vivant, conception fréquemment formulée par les auteurs de l’Antiquité et du Moyen Âge, et telle que Léonard l’a lui même thématisée de façon récurrente dans ses écrits ». L’auteur nous explique que dans le Codex Leicester rédigé entre 1506 et 1508 ainsi que dans des manuscrits antérieurs, « Léonard y décrit le cycle de l’eau courant dans différentes veines, sous la surface de la Terre, à la recherche des hauteurs alpines, tout comme le sang dans les veines du corps humain ». En me penchant sur un autre ouvrage de Frank Zöllner associé à Johannes Nathan, compilant les dessins de l’artiste (Léonard de Vinci, L’œuvre graphique, Taschen), j’ai été saisi par certaines similitudes de forme entre les dessins anatomiques des réseaux veineux, les études de plantes et les dessins cartographiques représentant les cours d’eau. Comme s’il avait réussi à représenter des mécanismes et des phénomènes transposables à différentes échelles, que ce soit celle de l’organisme humain ou celle de l’organisation naturelle globale du monde. Une sorte de principe d’harmonie générale insaisissable, une organisation complexe spontanée, une alchimie instinctive qui se manifesterait. L’être humain me semble tenté, depuis plusieurs centaines d’années, d’approcher artificiellement la recréation de l’état naturel. A mon sens, les grandes « réussites » techniques ont été conditionnées par ces tentatives. Cependant, au-delà de la recherche incessante d’objectivation précise de tous les principes naturels pris séparément par les sciences dites « dures » (mathématique avec le travail des proportions ou le nombre d’or par exemple, les lois de la physique universelle ou encore l’étude des réactions chimiques), il peut être intéressant de fonder l’hypothèse de départ de la réflexion sur une acceptation directe de la logique intuitive de Léonard de Vinci. Cela permet de porter un éclairage différent sur l’évolution actuelle de notre société.
Un réseau vasculaire empoisonné
Chez l’homme nous pouvons évoquer un cycle vasculaire associant en continu propulsion artérielle vers les différents organes et retour veineux essentiellement grâce à l’activité musculaire. A l’échelle de notre planète le cycle de l’eau est bien connu avec les stockages en nappes phréatiques, la mobilité permise par le jeu des pressions et des différences de reliefs ainsi que le retour induit par l’évaporation puis la condensation avant que la pluie ne permette de « reconstituer » les stocks. Dès lors comment croire que, lorsque l’on extrait le précieux liquide indispensable à la vie, sans égard aucun pour la reconstitution des stocks, l’équilibre pourra être maintenu longtemps ? Pourrions-nous survivre s’il nous était prélevé plus de sang que notre corps ne peut le supporter ? Au contraire, lors d’hémorragies importantes il est nécessaire d’avoir recours à des transfusions sanguines. A l’échelle planétaire aucun besoin de transfusion liquidienne normalement, s’agissant d’un circuit fermé global, encore faudrait-il ne pas bloquer les flux naturels par des barrages démesurés ou ne pas prélever au-delà des fameuses capacités de reconstitution des écosystèmes. Sinon comment éviter les pénuries ? Sur terre cela se soldera par une absence vitale dans certaines régions avec pour conséquence l’impossible survie des populations ; pour un corps humain une pénurie de sang dans un quelconque organe c’est la défaillance fatale qui entraine par effet domino la mort à plus ou moins long terme. Prenons garde à ce que la défaillance d’une région du globe ne soit pas à l’origine de ce même effet sur le corps terre.
Intéressons-nous à l’empoisonnement du sang chez un être humain ; dans les cas les plus graves il peut être causé par la présence de microorganismes pathogènes et de leurs produits toxiques dans le sang suite à un petite infection négligée. Le risque est alors que, par l’intermédiaire de la circulation sanguine, ils puissent finir par envahir tout le corps si le système immunitaire n’est plus en mesure de lutter, et conduire au décès. Nous pouvons aussi retrouver dans notre sang un certain nombre de substances toxiques ingérées, liées à l’activité industrielle ou agricole : retardateurs de flamme, PCB (polychlorobiphényles) ou pesticides. Nous savons bien que l’empoisonnement sanguin généralisé aura une issue fatale, pourquoi en serait-il autrement pour l’échelle globale ? Bien sûr le temps de survie sera bien moindre dans un cas que dans l’autre cependant, une agonie, bien qu’elle soit plus durable se soldera bien par la mort.
Le cas des pesticides est particulièrement intéressant car il permet de faire un pont entre les deux corps évoqués. En effet, n’importe quel individu peut retrouver ces substances dans son sang du fait de l’ingestion d’aliments contaminés préalablement, par inhalation directe en cas d’épandages proche des habitations ou en utilisant certains désherbants en tant que particulier. De la même manière la pénétration jusqu’aux nappes phréatiques est possible et la pulvérisation proche des cours d’eau peut directement atteindre ce que j’appellerai le réseau vasculaire de notre planète. Pour un individu, des maladies graves telles que le cancer peuvent survenir ; au niveau planétaire, ne peut-on pas imaginer le risque pour toutes les espèces et le rôle possible dans la mise en danger de nombre d’entre-elles avec les réactions en chaîne compromettant les interactions indispensables entres toutes ?
Autre exemple frappant : la présence de substances radioactives comme le tritium dans les cours d’eau proches de certaines centrales nucléaires, celle de Chinon par exemple, avec la présence de cet élément dans l’eau potable. Première réaction naturelle à cette nouvelle: l’inquiétude ; cependant, les experts assurent que les seuils autorisés ne sont pas dépassés… autorisés par qui, en se basant sur quels critères ? Mon irrationalité me fait croire qu’il serait peut-être plus sain de n’avoir aucune présence de substances radiocatives dans l’eau pour être certain de ne pas en retrouver dans notre sang…
Un recouvrement des surfaces compromettant la thermorégulation
Le tissu cutané est l’organe de notre corps ayant la plus grande surface et il joue un rôle indispensable dans le processus de thermorégulation. Par le jeu des échanges liquidiens, il permet à notre température de se maintenir à un niveau garantissant l’homéostasie du milieu interne et le fonctionnement normal de notre organisme malgré les changements environnementaux, que ce soit en termes de température externe ou d’intensité de l’activité physique. Un bon exemple reste la sudation qui correspond à un rejet de liquide visant à faire baisser la chaleur interne causé par l’augmentation de l’activité de l’organisme. L’interface entre la peau et l’environnement extérieur est donc primordial ; on peut aisément imaginer la défaillance générale de notre machinerie interne que pourrait engendrer le fait de recouvrir tout notre corps d’un tissu totalement imperméable en épousant les moindres reliefs. Plus de sécrétion possible, plus de baisse de température interne et au final une surchauffe généralisée. Il est d’ailleurs coutumier, en cas de grosse chaleur, de s’appliquer de l’eau fraiche au niveau de la nuque et du front ce qui correspond tout simplement à un refroidissement de la commande centrale (notre cerveau).
Pour la Terre dans son ensemble, nous pouvons considérer que l’eau reste bien le principal facteur de thermorégulation nécessaire au maintien d’une homéostasie indispensable à la vie. Les glaciers aux pôles, le jeu des pressions et dépressions en profondeur ou dans les hauteurs… autant d’états et d’espaces savamment organisés. En faisant preuve d’imagination, nous pourrions comparer la surface terrestre à notre tissu cutané qui, par l’alternance entre absorptions et rejets, garantit les conditions de développement de ses excroissances végétales. Dès lors, la « bétonisation » du monde, avec le recouvrement de terres agricoles et la destruction d’espaces forestiers pour de grandes constructions (aéroports, centre commerciaux, parkings…) sont des motifs d’inquiétude certains. Lors des grandes chaleurs estivales, il est d’ailleurs facile de noter les différences entre espace à la campagne avec habitations entourées de verdure et espace de grande concentration urbaine. En ville la chaleur semble « piégée » durant la journée et, la nuit, alors que cette prisonnière devrait laisser place à plus de fraîcheur, elle en profite pour s’échapper. Il n’est pas rare de sentir une forme d’étouffement, comme si béton et bitume rejetaient l’accumulation du jour et que leur respiration se faisait au prix de la nôtre. Au contraire, pour qui a la chance d’habiter aux abords d’une forêt « pas trop mutilée », l’expérience de la nuit lors d’une canicule peut être une délivrance, comme si la terre, les herbes, les arbres profitaient de l’absence du soleil pour soigner son agression ; d’ailleurs, en journée, ils ne chôment pas pour autant et il n’est pas d’ombre plus fraîche que celle d’un arbre vivant.
Il me semble dangereux de remplacer la perméabilité de la terre par l’imperméabilité de ces constructions toujours plus étendues ; par ailleurs, aussi complexes soient-ils, ce ne sont pas les systèmes d’écoulement des eaux ou les climatisations qui permettront la régulation ; ils restent autant d’artifices qui remplacent maladroitement et de manière incomplète la nature par essence rompue à l’exercice. C’est une perte de fonction évitable remplacée par des organes artificiels plus fragiles car non régis par l’énergie universelle naturelle. Si votre condition personnelle vous donnait le choix entre s’accorder des temps de repos plus fréquents pour conserver un cœur fonctionnel toute sa vie durant et continuer à avoir une activité frénétique grâce à la pause d’un pacemaker, que choisiriez-vous ? Bien sûr il est impensable de ne pas prévoir l’augmentation du nombre d’habitations pour une population mondiale sans cesse grandissante, cependant, un travail d’adaptation pourrait être fait et il alimente déjà la réflexion de nombre d’acteurs du secteur de la construction pour ce qui est des matériaux à utiliser, la tailles des espaces consacrés, et l’équilibre entre espaces construits et espaces naturels complémentaires conservés. Mais encore faudrait-il que la majorité soit convaincue de l’utilité de ces démarches et que nous ne sombrions pas dans une logique caduque de techniciens qui choisiraient d’aider un patient déjà intubé en creusant d’autres orifices à la surface du corps. Ne penser qu’à l’amélioration par les nouvelles inventions c’est mettre la Terre comme un corps sous assistance respiratoire.
Une destruction des organes respiratoires
Revenons sur l’expression : « le poumon vert de la planète » déjà évoquée dans un texte précédent mais qui prend ici tout son sens. Nous parlons bien des grandes forêts de la Terre et particulièrement de la jungle amazonienne qui fixent le C02 et produisent le dioxygène grâce à la photosynthèse. C’est dans un effet de miroir inversé par rapport à nos propres poumons, fixant l’O2 et rejetant le CO2, que la connexion devient magnifique, et se fait jour une forme de complémentarité poussée à l’extrême. Malheureusement, le fléau de la déforestation dévaste en ce moment même le principal organe respiratoire planétaire et donc, par extension, les nôtres se trouvent en sursis. Certaines études avancent même que la forêt amazonienne, du fait de l’activité humaine (barrages, incendies, développement de monoculture ou d’élevages intensifs) rejetterait autant de gaz à effet de serre qu’elle n’en absorbe. On assiste peut-être à une détérioration extrême de la fonction même de ces écosystème complexes, une forme d’empoisonnement évitable. En imaginant que nos poumons commencent subitement à capter autant de CO2 qu’ils n’en rejettent, je vous laisse imaginer les conséquences à court terme. Comme si notre propre comportement, malgré les mises en garde, continuait à mettre en danger l’intégrité de notre organisme et pouvait entraîner une perte de fonction compromettant notre survie. L’exemple de la cigarette semble tout trouvé, il est facile d’entendre qu’un jeune en « bonne santé » puisse être sourd aux recommandations, mais serions-nous aussi compréhensifs si une personne atteinte d’une broncho pneumopathie chronique obstructive (BPCO) ou d’un cancer du poumon continuait à fumer ? Notre Terre semble donc malade mais c’est à nous-mêmes que les recommandations doivent s’adresser car, même s’il est difficile de prévoir les réelles conséquences de mesures prises à partir de maintenant, une chose est sûre, il est indispensable d’ôter la cigarette de la bouche du malade, à moins que nous soyons certains qu’il n’y a plus rien à faire pour lui.
Des réactions violentes et incontrôlables comme symptômes de la maladie
Comment réagit notre corps aux stress multiples, aux agressions extérieures (plaies, chocs, températures hautes ou basses…) et intérieures (infection, déshydratation, hémorragies…) ? Par l’apparition de premiers indices de mal-être et par des soubresauts multiples, signes d’une lutte acharnée pour combattre le mal et retrouver l’équilibre par tous les moyens : céphalées, sécheresse de la peau et de la bouche, système immunitaire qui se met en branle pour annihiler un virus, augmentation de la température interne, apparitions de ganglions lymphatiques, coagulation sanguine pour la cicatrisation, évacuation liquidienne dans un but d’assainissement… Pourquoi en serait-il autrement du corps Terre ? Sécheresse, canicules, tempêtes de plus en plus violentes, risques d’éruptions volcaniques, fonte des glaciers… C’est là le drame le plus important. Au-delà d’une évolution naturelle, nous pouvons considérer que l’Homme n’est pas totalement étranger à l’apparition de ces stigmates. Le cas des séismes est particulièrement frappant. Nous savons que nombres d’entre eux sont d’origine humaine (activité extractive intensive) nous pouvons y voir une forme de frisson comparable à la fébrilité d’un corps soumis à une blessure si profonde qu’elle engendrerait un déséquilibre interne pouvant aller jusqu’au choc septique fatal. Il est pourtant évident que lorsque le corps s’emballe, la guérison dépend, entre autres, de deux choses primordiales que sont le repos et encore plus le sommeil, véritable facteur de régénération. En cas de forte fièvre, de fracture ou de blessure profonde, ne serait-il pas inconscient de démarrer un marathon ? C’est pourtant cette course interminable qu’a débuté notre planète sans que personne n’ait de considération pour ses lésions multiples. Comme pour tout organisme, il est question de limites et nous pouvons toujours chercher à les atteindre, et même à les repousser ; une bien belle idée, un mythe aveuglant érigé arbitrairement en vérité naturelle, mais comme pour tout organisme, il est des limites qu’il ne faut surtout pas franchir.
Quel rôle pour l’être humain ? Organisme en symbiose avec le milieu, acteur du système de défense ou moteur de dégénérescence ?
Imaginons que tous les êtres vivants, les êtres humains n’échappant pas à la règle, soient l’équivalent pour la Terre de certaines cellules ou organismes microscopiques indispensables au développement d’un corps humain.
Comme les anticorps de notre organisme, nous pourrions apparaitre comme des acteurs de l’organisation d’un système de défense du corps Terre, œuvrer à la préservation de notre habitat, à la conservation des espèces indispensables au maintien des écosystèmes, à la réduction des agressions directes, à la diminution des facteurs de stress… cependant cela demande une remise en cause radicale de notre mode de pensée, de toutes les normes économiques productives à l’origine de l’organisation de notre société et de l’interaction entre les différentes nations.
Un autre parallèle est possible avec le microbiote intestinal, cette « communauté » de bactéries, qui œuvre en symbiose avec leur organe hôte à son bon fonctionnement. Ces microorganismes ont des rôles primordiaux : aider à la digestion des aliments, donc à la transformation des structures pour les rendre utilisables par l’organisme dans son ensemble ou éliminables si inutilisables (sous forme de déchets organiques), « faire barrière » aux bactéries potentiellement dangereuses pour la santé et enfin œuvrer au développement du système immunitaire déjà évoqué en réunissant les conditions optimales d’accueil des cellules immunitaires. Pour notre monde, nous pourrions collectivement faire de nouveaux choix en termes d’habitation, d’agriculture, de transport afin de garantir à la fois notre vie dans les meilleures conditions tout en améliorant certains indicateurs environnementaux. Un très bon exemple ici est celui des forêts jardin : c’est-à-dire la mise en place, en harmonie avec un milieu naturel existant, d’une forme de culture vivrière respectant la configuration des lieux et même en concourant au développement de celui-ci. Une idée révolutionnaire pourtant ancienne qui permet à la fois d’assurer notre vie tout en soignant le corps Terre : une réciprocité des bénéfices, essence même de la symbiose d’un organisme avec son milieu. D’ailleurs, faire barrière aux pratiques néfastes devrait aller de soi, et certains citoyens le font quotidiennement : lutte de terrain contre la construction d’aéroports, contestation de la transformation de certains lieux en poubelles radioactives, actions en justice contre d’autres projets insensés (destruction de terres agricoles pour établir des centres commerciaux par exemple) ; malheureusement ce rôle de cellule immunitaire humaine est loin d’être une priorité pour la majorité des concitoyens et l’ampleur de la tâche est immense pour faire face à l’aveuglement pragmatique de notre classe politique dirigeante.
Certains microorganismes ont donc une action profondément bénéfique ; à l’inverse, certaines cellules peuvent être dysfonctionnelles et entrainer par réaction en chaîne une dégénérescence accélérée et parfois irréversible de l’organe de résidence. Ici, plus question d’aider au développement, d’accompagner l’action, de préserver le rôle mais plutôt d’entraver, de rétrécir les capacités, de compromettre les moyens jusqu’à la rupture. Le cas des cellules tumorales est particulièrement intéressant : une action désynchronisée de l’organe qui peut être à l’origine du développement de nouvelles structures totalement indépendantes qui siphonne l’énergie vitale au détriment du fonctionnement global. Un espèce d’égoïsme naturel, une cohérence propre qui peut coloniser et « organiser » la défaillance des organes proches avant la propagation fatale au reste du territoire organique. Le cas des maladies auto immunes permet de retrouver certains de ces principes avec une cellule dont le détournement de fonction conditionne une action totalement contre productive ; ici, pas de symbiose avec le milieu mais au contraire une opposition totale, une perte de repères, une inversion des rôles pour celle qui devrait assurer la survie mais qui en est réduit à précipiter la mort.
Dès lors comment appréhender de manière plus objective encore le rôle des humains ? Je reprendrai ici l’image du parasite, cet « organisme animal ou végétal qui vit aux dépens d’un autre, lui portant préjudice, mais sans le détruire » (Le Petit Robert 2013), et je rajouterais « pour l’instant » dans notre cas. Il assure donc sa survie par la consommation et la destruction des ressources du corps occupé. Un bon exemple reste cette lubie de la « conquête de Mars ». Une logique fondamentalement parasitaire : la Terre ne peut plus assurer les besoins de l’Homme et il s’agirait de trouver un autre hôte pour commencer un nouveau cycle de vie. Une logique pourtant totalement illusoire reposant sur une hypothèse plus que contestable. Certains scientifiques tirent déjà la sonnette d’alarme concernant des facteurs rendant impossible la réussite de cette entreprise : rayons cosmiques, modification de l’ADN consécutif au voyage, ostéoporose, modification des constantes cardio-vasculaires… En somme, une rupture de l’équilibre obtenu par des milliers d’années d’évolution dans notre milieu d’origine. Pourtant, par cette propension tout humaine à la croyance en des récits imaginaires, les convictions deviennent projets puis s’érigent en normes au mépris de toute rationalité. A mon sens c’est une escroquerie intellectuelle majeure que de laisser croire en notre capacité à dominer un environnement si hostile au sein duquel nous ne serions ni plus ni moins que des corps étrangers. De plus, mettre en œuvre cette illusion de conquête conduirait à la destruction totale de notre habitat actuel par la disparition des dernières ressources.
Nous pourrions être les anticorps naturels, nous choisissons d’être les virus artificiels.
Activité humaine et idéologie, un suicide collectif ?
Il ne s’agit pas de fustiger notre espèce dans son ensemble. Pas non plus de supériorité décrétée sans aucune critique ; je considère que la spécificité, le talent, le pouvoir de l’être humain résident dans sa capacité à choisir, à lutter consciemment contre certains déterminismes. Déterminismes entretenus par des idéologies créées de toute pièce et devenues totalement inopérantes. Aucune fatalité selon moi, chaque individu en tant que cellule ; chacune des collectivités humaines en tant qu’organe, peut choisir son rôle. Seulement, il est nécessaire que réflexion, conscience et raison redeviennent les moteurs de nos actions individuelles et collectives.
Il ne faudrait pas non plus imputer tous les maux à l’activité humaine. Pour certains, toutes les idées énoncées concernant l’effet néfaste des activités humaines peuvent être balayées en évoquant l’existence de cycles d’évolutions terrestres inexorables. Un argument qui se défend dans une certaine mesure et qui peut sans doute être étayé scientifiquement ; cependant, il ne faudrait pas que cet argument empêche un moratoire indispensable qui devrait concerner les activités mortifères. Ce mouvement inexorable peut s’apparenter à l’échelle individuelle au processus de vieillissement. Oui, la Terre vieillit et elle s’éteindra un jour. Pour autant y-a-t-il un sens à accélérer ce processus pour précipiter cette fin annoncée ? Par exemple, mon espérance de vie s’établit à 85 ans, je sais donc qu’à un moment ou un autre je devrai tirer ma révérence, et c’est inexorable, n’en déplaise aux illuminés du transhumanisme. Pour autant, ne vais-je pas accorder de l’importance à ma santé ? N’est-il pas sensé d’essayer de vieillir dans les meilleures conditions ? Vais-je être tenté de m’empoisonner sans freins en ingérant le plus possible d’alcool, en fumant à un rythme effréné ou en cédant au plaisir des drogues dures ? Oui les gains ressentis pourraient être immenses, surtout s’agissant de plaisir à court terme, cependant, la plupart du temps je vais les mettre en balance avec mes capacités de survie et ne pas abuser de certaines substances à moins d’être pris de pulsions suicidaires. Comme à l’échelle de la planète, l’espoir des plaisirs éphémères, d’abondance de produits inutiles, de comblement des désirs… ne devrait pas conduire à risquer la survie de ce corps terrestre dont nous sommes seulement l’une des parties. Plus simplement, je sais qu’un jour, que j’espère le plus lointain possible, mon organisme subira une ou l’autre défaillance fatale, comme par exemple le fait que je ne sois plus capable de respirer et de fournir l’oxygène indispensable ; en sachant cela, je ne vais pas pour autant me mettre un sac en plastique sur la tête pour me priver tout de suite de ce précieux gaz. C’est à mon sens ce qui se déroule actuellement avec notre environnement et cela me semble bien plus grave qu’une forme d’autodestruction individuelle. En effet, qu’une personne choisisse de mettre fin à ses jours d’une manière ou d’une autre, au-delà de la responsabilité que cela représente vis-à-vis de ses enfants s’ils ne sont pas encore autonomes, cela reste un choix qui n’a de conséquence directe que pour elle-même. Ses enfants auront encore leur chance dans cette vie tout comme le reste de sa famille et l’impact sera quasiment inexistant sur la marche du monde. Cependant les activités qui compromettent l’intégrité de notre globe sont autant d’attaques directes contre notre espèce et surtout la condamnation ferme de notre descendance.
Oui il y a urgence et j’identifie bien la dynamique actuelle globale comme un suicide collectif de l’espèce humaine avec le risque que nous emportions tous les autres êtres vivants dans la manoeuvre. En plus de la fragilisation et la destruction de notre habitat protecteur et nourricier, nous pouvons noter cette tendance à ne voir notre salut que dans une forme de religion technologiste de l’innovation pourtant énergivore ; le nombre de maladies liées à la pollution et aux produits chimiques de plus en plus graves, touchant des individus de plus en plus jeunes augmente constamment ; les perturbateurs endocriniens qui compromettent le bon développement de nombre d’enfants, la fertilité qui baisse et qui précipite une baisse du taux de natalité et un non renouvellement des populations, les scandales sanitaires touchant l’industrie agroalimentaire avec fréquents rappels de produits contaminés, les accidents industriels de grande échelle dont toutes les conséquences sanitaires ne sont pas encore connues qui s’enchainent… sont autant d’indicateurs qui devraient pourtant faire office d’électrochocs face à cet empoisonnement généralisé.
Mais je le répète, pas de condamnation de l’être humain dans l’absolu, il pourrait être la solution. C’est pourquoi je me refuse, contrairement à certains, à voir dans le déclin de la natalité une bonne nouvelle. Je reviens donc sur l’aspect démographique qui me parait primordial. A mon sens, une espèce qui décide de voir dans le contrôle et la réduction des naissances son salut est une espèce qui, philosophiquement a intégré sa disparition volontaire et en est le principal instigateur. Je fonde plutôt nos espoirs dans les générations qui viennent, surtout si elles sont capables de ne pas suivre le chemin tracé par leurs ainés. Quel étonnement de voir sur certains plateaux de télévision des personnes d’un certain âge, dont la conscience écologique ne saute pas aux yeux, se réjouir de la baisse du taux de natalité ; et bien moi j’échangerais bien la vie des ces personnes contre n’importe quel nouveau-né avec seulement l’espoir qu’il sera plus raisonnable. Il y a une autre perspective chez certains écologistes qui prônent l’absence de reproduction humaine comme solution ; un non-sens selon moi car les changements ne pourront intervenir qu’avec l’éducation de nos successeurs. A moins de voir dans la population actuelle la seule méritant de profiter d’une vie agréable et durable, un mode de pensée que l’on pourrait résumer par « après nous le déluge ». De plus, ce n’est pas en réduisant le nombre d’êtres humains tout en conservant des modes de vie toujours plus demandeurs en ressources naturelles que l’on changera quoi que ce soit, ce sera tout simplement plus de confort et de plaisir pour moins d’individus avec toujours les mêmes conséquences. Je miserais plutôt sur un seuil de renouvellement des générations toujours atteint, voir dépassé, une attention toujours plus grande accordée aux comportements de chacun et une formation à ces questions dès les premières années d’école. Un changement de paradigme est essentiel : comprendre qu’il est possible de ne pas constamment relier bonheur et plaisir avec abondance et confort ; que l’on peut tout à fait accorder bien-être et sérénité avec utilité sociale et écologique de l’activité, et disparition de la surproduction de biens.
Précisons tout de même qu’il ne s’agit pas du tout d’avoir une vision purement utilitariste de l’Homme. Evidemment, tout le monde ne sera pas capable d’assurer sur le long terme une activité manuelle exigeante physiquement, cependant il est question de complémentarité, d’interconnection humaine… que tous fassent en fonction de leurs moyens sans jamais se trouver stigmatisés. Même la personne la plus diminuée, que ce soit par le grand âge ou la maladie sera d’une importance capitale par l’influence qu’elle aura sur son prochain : prise de conscience de la nécessaire solidarité, importance du soin, de la préservation à l’échelle individuelle et collective, de la stimulation du contact avec autrui, de l’altérité vitale à l’ère d’une société numérique qui stimule la mise à distance et le repli sur soi.
Nul désespoir dans mes propos, tout processus vital a une fin. Il n’y a de vie que parce que la mort est certaine, ce qui est valable à l’échelle la plus minuscule est reproductible au niveau d’une planète. C’est uniquement le temps disponible qui varie, notre cycle humain d’existence étant plus restreint, seule la transmission de valeurs aux nouvelles générations permettra d’accompagner vers la fin le monde qui est le nôtre de la manière la plus sereine possible ; soigner notre Terre c’est lui accorder du temps, nous accorder du temps en tant qu’espèce, prolonger une durée de vie que nous amenuisons sans cesse. Le rythme productif qui anime nos sociétés occidentales développées est-il tenable encore longtemps ? L’avenir nous le dira sans doute bientôt.
P.M.